Le concept d’environnement d’apprentissage informatisé

Josianne Basque and Sylvie Doré

VOL. 13, No. 1, 40-56

Résumé

Cet article propose une réflexion sur le concept d’environnement d’apprentissage informatisé (EAI) et tente de le situer par rapport aux taxonomies déjà existantes des utilisations pédagogiques de l’ordinateur. Nous définissons l’environnement d’apprentissage comme un lieu réel ou virtuel abritant un ou plusieurs systèmes interagissant dans un but commun : l’apprentissage. Un enseignant et les apprenants d’une classe peuvent ainsi être vus comme un système, chaque individu étant un sous-système. L’utilisation du vocable apprentissage, plutôt que celui d’enseignement, évoque l’image d’un environnement axé sur la construction du savoir par une communauté d’apprenants plutôt que sur la transmission du savoir par l’enseignant. La juxtaposition des termes environnement et apprentissage sous-entend une approche collaborative et des stratégies pédagogiques fondées sur le cognitivisme et le constructivisme. L’environnement d’apprentissage est dit informatisé lorsque certaines ou l’ensemble des interactions entre les sous-systèmes sont soutenues par des ressources informatiques. La notion d’EAI dépasse celle d’activité pédagogique à l’ordinateur. En effet, l’environnement est susceptible d’abriter plusieurs de ces activités, en plus des outils et du matériel nécessaires pour les réaliser. Or, plusieurs taxonomies existantes sont fondées sur la catégorisation des médias ou encore des moyens didactiques, critères qui s’appliquent mal ou de façon incomplète à la notion d’EAI. De nouvelles taxonomies devront être imaginées comportant de nouveaux critères. Le concept d’ouverture de l’environnement offre une piste intéressante à cet effet.

Abstract

This article offers some thoughts on the concept of Computer-Based Learning Environment (CBLE) in an attempt to relate it to existing taxonomies of the educational use of computers. A learning environment is defined here as a physical or virtual space wherein one or more systems interact toward a shared goal, that of learning. The educator and the learners making up a class or a learning group can thus be considered as a system and each individual as a subsystem. The use of the term learning rather than teaching conjures up the image of an environment focused on the construction of knowledge by a community of learners rather than on the transmission of knowledge by an educator. The juxtaposition of the terms learning and environment implies a collaborative mode of learning as well as cognitivist and constructivist approaches to pedagogical strategy. A learning environment is said to be computer-based when some or all of the interactions among subsystems are supported by computing resources. The CBLE concept goes beyond that of computer-based activities, although the learning space is indeed likely to house various such activities, as well as the tools and materials needed to carry them out. However, those taxonomies based mainly on a classification of the various media or of instructional devices do not provide criteria adequate for dealing with the CBLE concept. New taxonomies comprising new criteria are thus called for. The concept of openness of the environment provides a promising lead in this respect.

Introduction

Depuis quelques années, l’expression environnement d’apprentissage informatisé apparaît de plus en plus dans les écrits en sciences de l’éducation. En anglais, on trouve plusieurs vocables qui semblent équivalents : computer-based learning environment proposé par Salomon (1992), computer enhanced learning environment et technology-intensive learning environment (TILE) suggérés également par Salomon (1994), ainsi que enriched learning and information environment (ELIE) proposé par Goodrum, Dorsey et Schwen (1993).

S’agit-il d’une nouvelle façon de nommer ce que l’on appelait jusqu’à ce jour application pédagogique de l’ordinateur (APO) ou enseignement assisté par ordinateur (EAO)? Cette expression se distingue-t-elle de l’expression système d’apprentissage informatisé? Derrière ce changement de termes, y a-t-il un changement significatif d’ordre pédagogique? Cet article tente de répondre à ces questions. Il propose une réflexion sur la signification du concept d’environnement d’apprentissage informatisé et tente de le situer par rapport aux diverses utilisations de l’ordinateur à des fins pédagogiques qui ont été recensées à ce jour dans certaines taxonomies dans le domaine.

Qu’est-ce qu’un environnement d’apprentissage informatisé?

Pour définir un environnement d’apprentissage informatisé, nous nous attardons au sens de chacun des trois termes, en commençant par apprentissage.

Apprentissage

Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, une personne mettait encore en œuvre, à la fin de sa carrière, les compétences acquises dans sa jeunesse. Bien plus, elle transmettait généralement son savoir, quasi inchangé, à ses enfants ou à des apprentis. Aujourd’hui, ce schéma est largement obsolète. Non seulement les gens sont appelés à changer plusieurs fois de métier dans leur vie mais, à l’intérieur du même «métier», les connaissances ont un cycle de renouvellement sans cesse plus court. (Levy, 1995, p. 52-53)

Plusieurs chercheurs, dont Perkins (1991) et Grabinger (1996), citent de nombreuses études démontrant l’incapacité, ou du moins le peu de succès, des méthodes traditionnelles d’enseignement à amener les finissants à développer les connaissances et les habiletés nécessaires pour affronter la nouvelle réalité du marché du travail décrite par Levy (1995). Il n’est plus suffisant de savoir utiliser des connaissances et des outils dans un seul domaine, nous devons aussi apprendre à les adapter à de nouveaux contextes. Nous devons être capables de résoudre des problèmes tout en étant souples et créatifs. Nous devons apprendre à travailler en équipe.

Pour faire face à ces nouveaux défis, un changement fondamental est en train de s’opérer dans le domaine de l’éducation. Les chercheurs ont commencé à remettre en question la prémisse traditionnelle voulant que l’enseignant transmette le savoir et que l’apprenant le reçoive. Ils se demandent si le fait de recevoir un enseignement est garant d’un réel apprentissage pour l’apprenant, c’est-à-dire, si l’on s’en tient à la définition de l’apprentissage suggérée par Mayer (1982), d’un changement relativement permanent dans le savoir ou dans le comportement d’un individu, changement provoqué par l’expérience. De plus en plus de chercheurs et de praticiens doutent, en effet, de l’efficacité des méthodes fondées sur la transmission du savoir, particulièrement lorsqu’elles sont appliquées à des habiletés cognitives supérieures telles que l’analyse, la synthèse, la critique, la résolution de problèmes, etc. Aux tentatives souvent associées au béhaviorisme d’améliorer avant tout le processus d’enseignement, succède aujourd’hui un intérêt plus marqué pour le processus d’apprentissage associé au cognitivisme et au constructivisme.

Rappelons que, pour les cognitivistes, l’apprentissage se définit non pas par des changements dans les comportements observables, mais par des changements dans les structures mentales—ou représentations internes—des individus. La vision de l’éducation qui en découle en est une qui met de l’avant l’importance d’un engagement mental actif des élèves durant l’apprentissage afin qu’ils puissent traiter les informations en profondeur et non pas uniquement en surface. Ainsi, l’enseignant se réclamant d’une approche cognitiviste cherchera à :

De plus, un tel enseignant permettra aux apprenants d’adopter de multiples cheminements d’apprentissage afin de tenir compte des différentes variables individuelles qui influencent la manière dont les apprenants traitent l’information.

Pour les constructivistes, le savoir est construit activement par chaque individu, c’est-à-dire par ses propres expériences ou, si l’on veut, par ses interactions avec l’«environnement». Autrement dit, l’individu est un organisme proactif : il ne fait pas que répondre à des stimuli provenant de l’environnement, comme le propose le béhaviorisme, mais s’engage dans une recherche de significations (Perkins, 1991). Selon cette perspective, l’enseignement ne consiste pas à transmettre à l’apprenant les significations d’un autre individu «qui sait» (l’enseignant). L’enseignement consiste plutôt à mettre les significations de l’apprenant au défi. Pour ce faire, l’enseignant et les autres apprenants qu’il côtoie, le supportent dans sa recherche personnelle de sens : ils lui posent des questions, le guident au besoin, l’orientent non pas vers des buts d’enseignement définis à l’avance, mais vers l’élaboration d’une interprétation personnelle des choses.

Ainsi, les tenants du cognitivisme et du constructivisme insistent sur le rôle actif de l’apprenant dans le processus de construction du savoir. C’est pourquoi on parle de plus en plus de créer des environnements d’apprentissage à l’intention des apprenants plutôt que d’utiliser des méthodes d’enseignement pour leur transmettre le savoir (Collins, Greeno et Resnick, 1994). Tentons maintenant de comprendre pourquoi le mot environnement est de plus en plus utilisé en sciences de l’éducation.

Environnement

Dans la perspective de la théorie des systèmes, l’environnement est un lieu abritant un ou plusieurs systèmes. A son tour, un système est un ensemble de composantes qui, sous l’effet d’un stimulus, génère une réponse (DeCarlo, 1989) et dont les actions sont orientées vers un but commun (Romizowski, 1996).

Un enseignant et les apprenants qui composent une classe peuvent être vus comme un système, chaque individu étant un sous-système ou composante dont les actions sont orientées vers le développement de nouvelles connaissances. L’enseignant qui donne une consigne ou propose un défi aux étudiants par exemple, provoque une réponse—l’exécution de la consigne ou l’engagement dans un processus de recherche de solutions—chez les apprenants. De même, les élèves peuvent stimuler l’enseignant—en posant une question, en refusant d’exécuter la consigne, en suggérant des projets, etc.—et influencer son comportement.

L’environnement est donc le lieu qui abrite un système avec ses sous-systèmes, ce lieu pouvant être réel ou virtuel. Trop souvent, l’environnement est négligé au profit de l’étude des interactions entre les composantes spécifiques de chaque système qu’il abrite. La notion d’environnement est toutefois très importante, car l’environnement est en mesure d’influencer le système. Ainsi, la nature des interactions entre l’enseignant et les élèves sera différente si ces derniers se trouvent dans une salle de classe où les pupitres sont placés en rangée et font face à un unique tableau noir, plutôt que dans une salle où les tables de travail sont organisées en îlots et les tableaux disposés autour de la salle ou, encore, si le «système» se trouve dans un musée. C’est donc dire que l’environnement influence le système et, dans une certaine mesure, l’inverse est également vrai. Par exemple, si l’une des missions d’un musée est de contribuer à l’apprentissage de jeunes enfants, une collection ne sera pas disposée et organisée de la même façon que si elle est destinée à un public d’adultes possédant déjà beaucoup de connaissances sur le sujet de l’exposition.

Certains auteurs, dont Land et Hannafin (1996), ne font aucune distinction entre système et environnement. Ainsi, ils font référence indifféremment à environnement d’apprentissage ou à système d’apprentissage, expressions qui sont alors utilisées comme synonymes. En effet, l’environnement peut être considéré comme un ensemble de composantes en interaction. En ce sens, l’environnement est lui-même une sorte de «métasystème», c’est-à-dire le système le plus général dans une situation donnée.

Par contre, Wilson (1996) soutient que les termes choisis véhiculent une certaine vision soutenue par une métaphore. La métaphore de la «salle de classe» suggère, par exemple, que l’apprentissage est ce qui ce passe dans un lieu (la classe) pendant des périodes déterminées, avec un enseignant qui anime des activités; la métaphore de la «livraison d’un produit», poussée à l’extrême, rappelle celle de la «pilule» que l’on administre en vue de produire un effet et suggère ainsi un modèle d’enseignement fondé sur le pré-traitement et la transmission de l’information; celle du «système et des procédés» évoque l’image d’un processus d’apprentissage qui inclut des étapes à franchir, des entrées et sorties, des mécanismes interreliés, le contrôle du processus, etc.

Pour Wilson (1996), la métaphore de l’«environnement» reflète davantage le nouveau paradigme qui anime le monde de l’éducation, en suggérant un modèle d’apprentissage fondé sur l’exploration, l’initiative et la liberté de choix. Selon lui, un environnement d’apprentissage est «a place where people can draw upon resources to make sense out of things and construct meaningful solutions to problems» (p. 3).

Wilson et d’autres auteurs, dont Perkins (1991) et Jonassen (1994), semblent ainsi associer inextricablement l’expression environnement d’apprentissage avec le paradigme constructiviste en éducation et parlent même, avec une certaine redondance, d’environnements d’apprentissage constructivistes. L’ajout du mot constructiviste ne semble qu’un moyen de souligner encore davantage l’importance d’offrir aux apprenants l’occasion de réaliser des activités d’apprentissage pertinentes et authentiques qui les aident à construire leurs connaissances et à développer leurs habiletés de résolution de problèmes.

Dans le même ordre d’idée, Grabinger (1996), en citant Collins, Brown et Holum (1991), fait référence à des rich environments for active learning (REAL), expression que l’on pourrait traduire par environnements riches pour un apprentissage actif. Dans ce type d’environnements, l’apprentissage est encouragé et soutenu plutôt que dicté. C’est pourquoi l’expression environnement d’enseignement n’aurait pas de sens et que l’on associe plutôt le terme apprentissage à celui d’environnement.

Wilson (1995) mentionne toutefois deux problèmes reliés au concept d’environnement d’apprentissage. Le premier tient au fait que, du point de vue de l’enseignant ou du concepteur pédagogique, ces environnements semblent devoir demeurer flous, c’est-à-dire qu’un environnement propice à l’apprentissage ne pourrait pas être totalement prédéfini. Cependant, Wilson note que le travail de planification effectué par les concepteurs de tels environnements est tout aussi important que pour des situations d’apprentissage traditionnelles, bien que l’effort ne soit plus mis à définir des stratégies pédagogiques, mais plutôt à identifier et à rendre accessibles les outils et les ressources qui seront utiles aux apprenants dans leur démarche d’apprentissage, et ce, de manière modulaire et flexible au fur et à mesure que les besoins émergent. Il note également que les enseignants doivent demeurer vigilants afin d’assurer un soutien approprié et efficace et prodiguer des conseils pertinents aux apprenants.

Jonassen (1994) reconnaît qu’il manque encore de lignes directrices explicites et pratiques pour guider la conception de tels environnements. Malgré l’engouement des chercheurs pour le constructivisme, très peu de stratégies pédagogiques ont été élaborées pour soutenir cette approche; l’évaluation des apprentissages est un secteur peu développé, et le but et les méthodes d’analyse de tâches et du contenu ne sont pas encore bien définies selon un point de vue constructiviste. Cet état de fait contribue sans doute à maintenir l’impression que les constructivistes prônent une approche floue de l’apprentissage. Nous souscrivons, pour notre part, à l’école des constructivistes «modérés». Nous ne rejetons pas toute présence de stratégies pédagogiques prédéfinies, l’important étant surtout, selon nous, de laisser place à l’initiative et à la possibilité de faire des choix pour l’apprenant, ainsi qu’à une redéfinition du rôle du formateur comme guide ou accompagnateur.

Le deuxième problème que Wilson soulève vient de la connotation individualiste qui peut être associée, en psychologie du moins, à la métaphore de «l’individu dans l’environnement». Celle-ci évoque en effet l’image d’individus isolés qui agissent, utilisent des outils et des artefacts, colligent et interprètent des informations. Cette image s’oppose à la vision collaborative de l’apprentissage qui est préconisée par les tenants du constructivisme. Ceux-ci, en effet, énoncent que les connaissances ne sont pas des vérités absolues, mais sont simplement des interprétations viables qui suscitent un consensus social à un moment donné du contexte socio-historique (Resnick, 1987, dans Henri et Lundgren-Cayrol, 1997). Pour les constructivistes, le savoir est, en effet, construit par un individu qui participe à une communauté. Le savoir est ouvert à la négociation et, en ce sens, le contexte social joue un rôle majeur dans l’apprentissage.

L’expression communauté d’apprentissage pourrait peut-être mieux convenir que le terme environnement, concède Wilson, mais il croit que ce dernier terme peut tout de même être utilisé dans le sens suivant : «A place where learners may work together and support each other as they use a variety of tools and information resources in their guided pursuit of learning goals and problem-solving activities» (p. 5).

Nous souscrivons entièrement à l’interprétation que Wilson donne au terme environnement. N’oublions pas la définition de système que nous avons adoptée; elle implique un ensemble de sous-systèmes ou composantes, des individus interagissant dans un but commun. Cette façon de voir un système sous-entend une collaboration entre les individus. L’environnement logeant le système doit contenir les outils nécessaires et les conditions menant à cette collaboration. Le terme environnement sous-entend donc intrinsèquement, selon nous, l’idée d’une collaboration entre des individus et celle d’une communauté d’apprentissage au sens large.

Informatisé

Nous avons vu qu’un environnement loge des composantes en interaction et que, dans un environnement d’apprentissage, ces composantes sont orientées vers un même but : l’apprentissage. Examinons maintenant les types d’interactions qui peuvent s’y dérouler, de manière à identifier, par la suite, les différentes ressources qu’un environnement d’apprentissage peut abriter pour les favoriser et les soutenir correctement. Nous serons alors en mesure de nous interroger sur la place que les ressources informatiques peuvent prendre dans un environnement d’apprentissage que l’on qualifie d’informatisé.

En étudiant différents types d’environnements d’apprentissage, Collins et al. (1994) ont observé la présence de trois «fonctions» générales, chacune étant elle-même subdivisée en deux sous-fonctions.

Participation au discours

Participation aux activités

Présentation de travaux aux fins de l’évaluation

Les chercheurs du Laboratoire en informatique cognitive et environnements de formation (LICEF), rattaché à la Télé-université, vont un peu plus loin que Collins, Greeno et Resnick dans le processus de modélisation d’un environnement d’apprentissage. Ils ont entrepris la création d’un campus virtuel, environnement dédié spécifiquement au téléapprentissage (Paquette, Ricciardi-Rigault, de la Teja et Paquin, 1997). Ce modèle comporte des acteurs (l’apprenant, le formateur, l’informateur, le concepteur et le gestionnaire), ainsi que des processus et des ressources dont les acteurs ont besoin pour assumer leurs rôles. Par exemple, l’apprenant régit son processus d’apprentissage en transformant des informations en connaissances selon un certain scénario; pour ce faire, il joue, entre autres, les rôles suivants :

Les ressources sont réparties dans cinq espaces virtuels, dans lesquels chaque acteur évolue d’une façon qui lui est propre (voir la figure 1). Par exemple, dans une situation typique de téléapprentissage, les espaces disponibles à l’apprenant prennent la forme suivante :

Ainsi, aux fonctions de communication, d’information et de production identifiées par Collins et al. (1994), s’ajoutent deux autres fonctions, soit celle de navigation et de gestion, et celle d’assistance.

Pour qu’un environnement d’apprentissage soit dit informatisé, on devrait donc retrouver des ressources informatiques dans certains espaces ou dans l’ensemble des espaces identifiés par Paquette et al. (1997). Le tableau 1 présente les différentes formes que peuvent prendre les ressources mises à la disposition de l’apprenant, selon que l’environnement est informatisé ou non; nous les avons classifiées selon les espaces définis par Paquette et al., tout en séparant l’espace gestion de l’espace navigation. A ces espaces, nous avons associé les cinq classes d’outils identifiées par Perkins (1991),2 soit :

Pour qu’un environnement d’apprentissage soit dit informatisé, il n’est donc pas nécessaire, selon nous, que toutes les ressources soient informatisées, mais que certaines d’entre elles le soient. Certains pourraient alors demander : Dans quelle proportion? Peut-on dire informatisé un environnement d’apprentissage où l’on n’utiliserait l’informatique que pour soutenir la collaboration, par exemple, ou encore que pour produire certains documents? Nous croyons que l’élément le plus important ici n’est pas tant l’ampleur de la présence de l’informatique dans l’environnement de l’apprentissage ou, encore, la quantité des fonctions touchées par l’informatique; nous croyons plutôt que c’est la pertinence du choix des ressources informatiques pour supporter telle ou telle fonction dans tel contexte d’apprentissage et leur intégration harmonieuse dans l’environnement d’apprentissage. Si une ressource informatique est simplement «plaquée» dans l’environnement ou qu’elle n’apporte rien à l’acte d’apprendre, il nous semble alors inopportun de parler d’environnement d’apprentissage informatisé.

Pour Perkins (1991), ce sont les ensembles de construction et les aires d’étude de phénomènes qui sont les plus présents dans des environnements d’apprentissage constructivistes. On peut toutefois y retrouver également des banques d’informations, ainsi que des surfaces symboliques, mais celles-ci sont alors utilisées non seulement pour enregistrer des données, mais aussi pour explorer et analyser des idées. Quant aux gestionnaires de tâches, ils sont davantage mis entre les mains des apprenants plutôt qu’exclusivement dans celles de l’enseignant.

En résumé, le concept environnement d’apprentissage informatisé ne se définit pas uniquement par sa composante technologique, mais par l’amalgame de ses trois composantes. Salomon (1992) résume bien ce que nous entendons par environnement d’apprentissage informatisé :

Computer-based learning environments are not learning environments to which computers have been added. Nor are they environments that appear on computer screens. Rather, these are relatively new environments in which computer-afforded activities have been fully integrated into other activities, affecting them and being affected by them : recitation of isolated facts is replaced by exploration; individual activities are replaced by team work around the computer; the ping-pong-like pattern of communication between single students and teacher is replaced by intensive interaction among students; discipline-based isolated curricula become integrated; and meanings are socially negotiated and “appropriated” rather than handed down ready-made. (p. 251)

Ou situer les environnements d’apprentissage informatisés dans les taxonomies existantes?

Depuis le début des années 80, plusieurs taxonomies pour classifier les différents types d’applications pédagogiques de l’ordinateur ont été proposées. Pour n’en nommer que quelques-unes, citons celles de Chacón (1992), Knezek, Rachlin et Scannell (1988), Paquette (1993), Plante (1984) et Watts (1981). Nous nous attardons à deux d’entre elles, soit celles de Chacón (1992) et de Paquette (1993), afin de tenter de définir la place que prendraient les environnements d’apprentissage informatisés dans de telles taxonomies.

Chacón (1992) soutient que l’ordinateur est une extension de trois comportements, au même titre que McLuhan a jadis proposé que les médias de masse étaient des extensions des canaux sensoriels. Ces trois comportements, appelés modes utilisateurs (user mode), et les métaphores correspondantes sont :

Il propose une taxonomie des applications pédagogiques de l’ordinateur fondée sur ces trois modes utilisateurs et sur leur évolution dans le temps. Cette classification, à laquelle nous avons apporté quelques modifications et ajouts reflétant l’évolution depuis 1992, est présentée dans le tableau 2. Selon nous, ce que nous appelons environnement d’apprentissage informatisé n’est pas associé à un seul mode utilisateur puisque, en général, il intègre les trois modes utilisateurs proposés par Chacón.

Quant à Paquette (1993), il suggère une classification des activités pédagogiques par ordinateur selon trois dimensions : le type de connaissances visées, les stratégies d’apprentissage et les moyens didactiques informatisés. La dernière dimension est généralement la seule qui est adoptée dans les taxonomies existantes. Chacune de ces dimensions comporte une typologie comptant cinq catégories.

Les connaissances visées :

Les stratégies d’apprentissage :

Les moyens didactiques informatisés :

En associant chaque dimension à un axe d’un système cartésien de coordonnées, la taxonomie proposée par Paquette prend la forme d’un cube. Paquette fait remarquer que les moyens didactiques identifiés couvrent des combinaisons différentes de connaissances et de stratégies. Par exemple, un exerciseur est souvent employé pour mémoriser des faits, tandis qu’un progiciel peut servir à expérimenter une procédure. Il constate aussi que les logiciels existant au moment où il propose cette taxonomie ne couvrent pas toutes les plages du cube.

Où situer les environnements d’apprentissage informatisés dans cette taxonomie? S’agit-il d’un nouveau moyen didactique? Nous sommes d’avis que de tels environnements peuvent viser plusieurs types de connaissances, peuvent suggérer de multiples stratégies d’apprentissage et peuvent offrir plusieurs moyens didactiques pour les réaliser, dont certains ne sont pas identifiés dans la liste des moyens didactiques proposés par Paquette en 1993, compte tenu des développements technologiques auxquels nous avons assisté depuis. En quelque sorte, nous pouvons dire que le concept d’environnement d’apprentissage informatisé dépasse celui d’activité pédagogique par ordinateur.

Pour classifier les environnements d’apprentissage informatisés, peut-être faudra-t-il développer de nouvelles taxonomies. En effet, de nouveaux critères semblent nécessaires. Par exemple, Wilson (1996) subdivise les environnements d’apprentissage selon leur «degré d’ouverture» sur le monde». Il distingue : les micromondes informatiques, les environnements d’apprentissage basés sur la classe et les environnements ouverts et virtuels.

Conclusion

Le concept d’environnement d’apprentissage informatisé englobe, tout à la fois, l’idée de la présence de ressources informatiques pour soutenir la démarche des apprenants, l’idée d’une vision cognitiviste et constructiviste de l’apprentissage et l’idée d’un lieu réel ou virtuel qui loge des «systèmes» en interaction. Cette évolution dans le vocabulaire des sciences de l’éducation devrait se refléter de plus en plus dans les tentatives de classification des applications pédagogiques de l’ordinateur.

Par ailleurs, ce concept a des conséquences non négligeables sur le processus de design pédagogique. La connotation constructiviste qui lui est souvent associée et la prolifération des médias pouvant y être considérés, pour ne nommer que ces deux facteurs, rendent la tâche des concepteurs pédagogiques plus complexe que lors de la conception, par exemple, d’un cours en mode présentiel non informatisé et fondé sur des principes béhavioristes ou, encore, d’un tutoriel. Soutenu par de nouveaux modèles de design pédagogique, ce concept commande un changement de méthodologie : le prototypage est plus présent et le développement est souvent fait par des équipes relativement nombreuses—spécialiste de contenu, conseiller pédagogique, programmeur, infographiste, rédacteur, utilisateur, etc. La complexité de l’exercice a d’ailleurs incité plusieurs équipes de chercheurs à développer des systèmes conseillers afin de soutenir les concepteurs dans leur tâche.

References

Chacón, F. (1992). A taxonomy of computer media in distance education. Open Learning, 7(1), 12-27.

Collins, A., Brown, J.S., et Holum, A. (1991). Cognitive apprenticeship : Making things visible. American Educator (Winter), 6-11, 38-46.

Collins, A., Greeno, J.G., et Resnick, L.B. (1994). Learning environments. Dans T. Husen et T.N. Poslethwaite (Eds.), The international encyclopedia of education (2e édition, volume 3, p. 3297-3302). Oxford : Elsevier Scienc.

DeCarlo, R.A. (1989). Linear system. A state variable approach with numerical implementation. Englewood Cliffs, NJ : Prentice-Hall.

Goodrum, D.A., Dorsey, L.T., et Schwen, T.M. (1993). Defining and building an enriched learning and information environment. Educational Technology, XXXIII(11), 10-20.

Grabinger, R.S. (1996). Rich environments for active learning. Dans D.H. Jonassen (Ed.), Handbook of research for educational communications and technology. New York : Macmillan Library References/AECT.

Henri, F. et Lundgren-Cayrol, K. (1997). Apprentissage collaboratif à distance, téléconférence et télédiscussion. Document de travail. Montréal : LICEF, Télé-université

Jonassen, D.H. (1994). Toward a constructivist design model. Educational Technology, 34(4), 34-37.

Knezek, G.A., Rachlin, S.L., et Scannell, P. (1988). A taxonomy of educational computing. Educational Technology, XXVIII(3), 15-19.

Land, S.M., et Hannafin, M.J. (1996). Student-centered learning environments : Foundations, assumptions and implications. Dans Proceedings of the 18th National Convention of the Association for Educational Communications and Technology, Indianapolis (p. 395-400).

Levy, P. (1995). Qu’est-ce que le virtuel? Paris : La Découverte.

Mayer, R.E. (1982). Learning. Dans H.E. Mitzel (Ed.), Encyclopedia of educational research. New York : Free Press.

Paquette, G. (1993). Les logiciels de formation. Initiation à la formation-conseil en milieu de travail (INF9003), chapitre 2. Sainte-Foy : Télé-université.

Paquette, G., Ricciardi-Rigault, C., de la Teja, I. et Paquin C. (1997). Le campus virtuel : Un réseau d’acteurs et de ressources. Journal of Distance Education, XII(1/2), p. 85-101.

Perkins, D.N. (1991). Technology meets constructivism : Do they make a marriage? Educational Technology, 31(5), 18-23.

Plante, J.-L. (1984). Une classification ouverte des applications pédagogiques de l’ordinateur. Vie pédagogique, 31, 26-29.

Romiszowski, A.J. (1996). Systems approach to design and development. Dans T. Plomp et D.P. Ely (Eds.), International encyclopedia of educational technology (p. 37-43). Cambridge, UK : Pergamon.

Salomon, G. (1992). Effects with and of computers and the study of computer-based learning environments. Dans E. DeCorte, M.C. Linn, H. Mandl et L. Verschaffel (Eds.), Computer-based Learning Environments and Problem Solving (p. 249-263). Berlin : Springer-Verlag.

Salomon, G. (1994). Differences in patterns : Studying computer enhanced learning environments. Dans S. Voniadou, E. De Corte et H. Mandl (Eds.), Technology-based learning environments : Psychological and educational foundations (p. 79-85). Berlin : Springer-Verlag.

Watts, N. (1981). A dozen uses for the computer in education. Educational Technology, 21(4),18-22.

Wilson, B.G. (1996). What is a constructivist learning environment? Dans B.G. Wilson (Ed.), Constructivist learning environments. Case studies in instructional design (p. 3-8). Englewood Cliffs, NJ : Educational Technology Publications.

Josianne Basque œuvre, depuis le début des années 80, dans le domaine de l’intégration des technologies informatique à la pédagogie. Elle est actuellement professeure à la Télé-université et chercheure associée au Centre de recherche LICEF. Elle détient une maîtrise en technologie éducationnelle de l’Université de Montréal et un doctorat en psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Sylvie Doré est professeure en génie mécanique à l’École de technologie supérieure depuis 1992. Elle détient un doctorat en génie biomédical de l’Université McGill; ses projets de recherche en génie portent principalement sur la conception et la fabrication de prothèses articulaires personnalisées. Depuis 1995, elle développe avec des professeurs de la Télé-université des environnements d’apprentissage informatisés.

ISSN: 0830-0445