Le concept de média d'apprentissage1

Johanne Rocheleau

VOL. 10, No. 2, 1-16

Résumé

La sélection des médias pour la conception des systèmes d'apprentissage et de télé-apprentissage est de plus en plus complexe compte tenu de l'évolution rapide des technologies de l'information et de la communication. Le présent article propose une définition générique du concept de média d'apprentissage qui repose sur une observation des composantes technologiques des médias : les infrastructures, les véhicules, les supports et les messages. Cette définition est utile pour faciliter la sélection des médias et la formulation des messages pédagogiques selon les différentes situations d'apprentissage dans lesquelles les systèmes d'apprentissage s'inscrivent, les types de systèmes d'apprentissage (plurimédias et multimédias interactifs) et le type d'activités d'apprentissage (activités de consultation, de production ou de gestion de l'apprentissage). Deux principes de sélection des médias s'opérationnalisent bien avec ce concept de médias d'apprentissage : le principe de sélection négative et le principe de supplantation. Ces deux principes et cette définition pourraient servir de base à l'élaboration d'un modèle de sélection des médias d'apprentissage.

Abstract

When envisaging systems for direct and distance learning, the selection of media is increasingly complex, given the rapid evolution in information and communication technology. The present article proposes a generic definition of the concept of a mediated learning environment that is based upon observation of the technological components of the media: infrastructure, means, support, and message. This definition is useful in facilitating media selection and the formulation of pedagogical « messages » according to the different learning environments into which the learning systems fall, the types of learning systems (cross-boundary media and interactive multimedia), and the type of learning activities (consultation, production, or learning management). In this concept of mediated learning environment, two principles of media selection function effectively: the principle of negative selection and the principle of supplantation. These two principles and this definition could serve as the basis for elaborating a selection model for mediated learning environments.

Introduction

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent aujourd’hui de nombreuses avenues pour la conception de systèmes d’apprentissage. Pour le concepteur de systèmes d’apprentissage ou de télé-apprentissage, il ne s’agit plus que de transmettre des messages, mais aussi d’offrir aux apprenants des environnements d’apprentissage dans lesquels ils pourront rechercher, récupérer et transformer, produire et transmettre des informations. Le défi n’est plus que pédagogique; il est aussi technologique.

Les technologies de l’information et de la communication évoluent très rapidement. Certaines sont très à la mode, alors que d’autres ont déjà perdu la faveur populaire. Force est de constater que le multimédia interactif est aujourd’hui employé à toutes les sauces et que le divertissement est souvent favorisé au détriment de la pédagogie. Le CD-i, populaire hier, est presque disparu du paysage technologique de l’ingénierie éducative. Les technologies passent, mais des interrogations concernant la sélection des médias d’apprentissage demeurent. Plus elles évoluent, permettant de nouvelles combinaisons médiatiques, plus la sélection des médias d’apprentissage devient complexe. Il est facile de tomber sous le charme des dernières nouveautés, en oubliant les impacts qu’elles peuvent avoir sur l’apprentissage. D’où la nécessité de pouvoir compter sur un cadre conceptuel qui permette de situer les attributs que les médias d’apprentissage doivent présenter pour la conception de systèmes d’apprentissage.

Mais qu’entend-on par « média d’apprentissage » au juste? La litté-rature en technologie éducationnelle regorge de définitions de « média d’apprentissage ».

Enseignant? Extension de l’enseignant? Véhicule? Support? Mode d’expression? Qu’est-ce donc qu’un média d’apprentissage? De quoi est constitué l’objet de la sélection des médias d’apprentissage?

La définition du concept de média d’apprentissage est particulièrement importante pour la sélection des médias et la formulation des messages pédagogiques. Les modèles de sélection des médias d’apprentissage sont généralement basés sur les attributs intrinsèques des médias : capacité de présenter du son, des images, de signifier le mouvement, le temps, etc. Mais les technologies évoluent rapidement, si bien que les attributs des médias changent eux aussi. Il faudrait pouvoir compter sur des attributs génériques des médias selon les différentes situations pédagogiques : capacité de transmettre des informations à distance, vitesse de transmission, de récupération, capacité de permettre la collaboration entre les pairs, etc. On retrouve présentement, dans certaines grilles de sélection de médias, des amalgames qui confondent les stratégies d’apprentissage (démonstration, drame, jeux de rôles), les équipements disparates (ordinateur, disquettes, écran, etc.) ou des stratégies médiatisées (vidéoconférence, simulateur, etc.). On devrait pouvoir compter sur des grilles qui permettent la sélection des médias d’apprentissage en regard de leurs caractéristiques génériques pour soutenir les stratégies d’apprentissage.

Le présent texte tente de répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un média d’apprentissage? » La définition de ce concept s’inscrit dans le cadre des recherches effectuées au Centre de recherche LICEF de la Télé-université à Montréal pour le développement d’une méthode d’ingénierie de systèmes d’apprentissage et de télé-apprentissage.

Dans ce texte, les médias d’apprentissage sont envisagés davantage sous l’angle technologique pour en identifier les composantes selon les situations pédagogiques différentes avec lesquelles doit composer le concepteur de systèmes d’apprentissage. Ce texte présente, dans un premier temps, des précisions sur les situations pédagogiques, afin de délimiter les caractéristiques attendues de la part des médias d’apprentissage. Le concept de média d’apprentissage sera ensuite décrit. Suivront deux principes généraux qui pourraient servir de base à l’élaboration d’un modèle de sélection des médias d’apprentissage.

Les Situations Pédagogiques

L’utilisation de médias d’apprentissage varie selon la situation pédagogique dans laquelle s’inscrit le système d’apprentissage. Pour les fins de notre étude, on distingue deux catégories de situations pédagogique : la situation pédagogique présentielle et la situation de télé-apprentissage.

La situation pédagogique réfère à la situation contextuelle où se déroulent les processus d’enseignement et d’apprentissage (Sauvé, 1992). C’est l’ensemble des composantes interreliées sujet-objet-agent dans un milieu (Legendre, 1993). Entre l’agent (A) et le sujet (S), la relation en est une d’enseignement. La relation d’apprentissage lie l’apprenant à l’objet d’apprentissage (O). La relation didactique est celle qui unit l’agent à l’objet d’apprentissage. Dans une situation pédagogique présentielle, ces relations se déroulent dans un milieu, dans lequel l’agent et l’apprenant sont en présence l’un de l’autre. La figure 1 (page précédente) représente la situation pédagogique présentielle (adaptation de Legendre, 1993). Dans ce cadre, les médias d’apprentissage s’inscrivent le plus souvent dans la relation d’apprentissage.

La situation de télé-apprentissage est différente de celle de l’enseignement présentiel en classe (voir la figure 2, page précédente). L’agent et l’apprenant ne sont pas en présence l’un de l’autre. L’agent peut être ici le concepteur du système d’apprentissage. La formation n’est plus conçue pour un groupe d’apprenants réunis sous un même toit, mais pour des individus, souvent dispersés géographiquement. L’ensemble des relations pédagogiques est médiatisé. L’utilisation de médias est ici représentée par de petits ordinateurs.

Ce qui distingue les systèmes d’apprentissage et ceux de télé-apprentissage est donc la non-proximité physique des apprenants (sujets), de l’objet, et des formateurs, concepteurs et des gestionnaires (agents). Les systèmes de télé-apprentissage demandent qu’une attention particulière soit portée sur les infrastructures de communication pour assurer le lien entre le sujet et l’agent.

Des Systèmes D’Apprentissage ou de Télé-Apprentissage Multimédias Interactifs et Plurimédias

En plus de la non-proximité physique des apprenants, objets, gestionnaires, concepteurs et formateurs, on peut apporter des distinctions supplémentaires basées sur la technologie des médias d’apprentissage, et compter ainsi quatre situations pédagogiques différentes :

Selon Legendre (1993), un système d’apprentissage multimédia interactif combine plusieurs messages pour optimiser les meilleurs apprentissages possibles (voix/audio, texte/données, images/graphiques, animation/images vidéo), et qui peuvent se prolonger dans une dimension multisensorielle (le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue et le toucher) impliquant le contrôle de plusieurs appareils (audiovisuels) par un ordinateur. On considère généralement qu’au moins trois messages doivent pouvoir être combinés et présentés simultanément pour qualifier un système de « multimédia ». Outre la combinaison de plusieurs messages, l’interactivité est une caractéristique essentielle du système d’apprentissage multimédia interactif qui :

[. . .] intègre une dimension physique et cognitive issue des différents contacts possibles entre l’apprenant et le système pour cheminer dans un réseau d’information à sa disposition, mais aussi et surtout, elle témoigne des choix cognitifs de l’individu en fonction des manipulations des informations disponibles. (Giardina, 1992)

La présence de plusieurs canaux de diffusion et l’interactivité, contenus dans un même fichier numérique distingue aussi les applications multimédias des hypermédias, qui devaient avoir recours à plusieurs fichiers non-intégrés pour simuler des messages multimédias. De plus, l’interactivité des applications hypermédias était limitée en terme de navigation et d’envergure des fonctionnalités, comme dans le cas de simulations complexes. Un système d’apprentissage multimédia interactif peut être perçu comme l’une des applications pédagogiques de l’ordinateur et peut s’inscrire dans une situation pédagogique présentielle.

Dans un système de télé-apprentissage multimédia interactif, tous les éléments du système d’apprentissage multimédia interactif sont présents mais tous les messages sont livrés par un ordinateur à des apprenants, des formateurs et des gestionnaires répartis géographiquement. L’infrastructure (l’ensemble des installations nécessaires à la diffusion du système d’apprentissage) joue un rôle important, puisqu’elle permet d’identifier des modes de livraison et des possibilités de communications. On considère que les accès distants, tels ceux permettant d’accéder à des banques de données externes comme l’Internet, INFOPUQ, etc., sont des attributs des systèmes de télé-apprentissage multimédias interactifs. Un système de télé-apprentissage multimédia interactif doit aussi fournir des repères pour permettre aux apprenants, aux formateurs et aux gestionnaires de se situer dans l’espace et dans le temps, par des outils de gestion de l’apprentissage et des représentations de lieux virtuels.

Un système d’apprentissage plurimédia peut inclure diverses combinaisons médiatiques dans la livraison des activités d’apprentissage. Il peut comprendre les applications pédagogiques de l’ordinateur et l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ce qui le distingue du système de télé-apprentissage multimédia interactif réside dans la possibilité d’inclure d’autres modes de livraison que ceux permis par l’informatique et la télématique, comme l’enseignement à distance utilisant la correspondance sur des supports « papier », la livraison d’émissions télévisées par câblodistribution, etc. Un système d’apprentissage plurimédia inclut des activités d’apprentissage dans des lieux physiques comme une classe, une bibliothèque, un laboratoire et peut utiliser des médias d’apprentissage de tous ordres : imprimés, livres, acétates, bandes audiographiques, logiciels, etc. Un système de télé-apprentissage plurimédia implique des modes de communication qui peuvent utiliser différentes infrastructures comme le réseau télématique, téléphonique, le système postal, etc. Les apprenants et les formateurs n’étant pas en présence les uns des autres, les relations médiatisées sont celles qui permettent d’entrer en contact avec l’objet d’apprentissage, qu’il soit sur les lieux ou à distance et entre eux.

La distinction entre ces quatre systèmes d’apprentissage est importante dans la mesure où elle permet d’identifier les relations à médiatiser et les caractéristiques que les médias d’apprentissage doivent pouvoir présenter dans leurs composantes : les infrastructures, les véhicules, les supports et les messages.

Le Concept de Média D’Apprentissage

On qualifiait auparavant de média tout moyen physique était utilisé pour communiquer une information, pour véhiculer un contenu. Les nouvelles technologies ont ajouté en complexité à cette fonction de communication en permettant, outre la transmission et la récupération de contenus, le traitement ou la production des informations par le récepteur. Si les fonctions des médias d’apprentissage ont évolué, leur composition physique s’est aussi complexifiée.

Si l’on observe présentement les médias utilisés dans les quatre situations pédagogiques décrites dans ce texte, que remarque-t-on? D’abord, il faut noter l’infrastructure qui permet de communiquer les informations ou d’encadrer les relations pédagogiques. Il peut s’agir de la télématique, de la câblodistribution, de la communication en réseau local, etc. Ensuite, il y a des véhicules (ordinateurs, télévision, etc.), qui traduisent les codes en langage que l’apprenant peut interpréter, qui les transportent de ce lieu de traduction interne jusqu’à l’écran ou l’apprenant et qui impliquent des modes de fonctionnement différents. Mais toutes ces informations résident sur des supports : disquettes, Cédérom, disque dur, cassette vidéo, serveur local ou distant, etc. L’ensemble des multiples informations rendues disponibles à l’écran forment des messages. Voilà ce que l’on peut observer sous l’angle technologique.

Du côté pédagogique, et en considérant que l’apprenant est actif dans son apprentissage, à quoi servent les médias d’apprentissage? Les médias d’apprentissage peuvent être séparés selon leurs fonctionnalités en trois groupes distincts :

C=est compsé de
Figure 3: Le concept de média d'apprentisage

Le but de tout média d’apprentissage est de soutenir l’apprentissage en permettant à l’apprenant de rentrer en contact ou de créer des informations dans des environnements d’apprentissage conviviaux, afin de pouvoir les traiter et les emmagasiner en les ajoutant à ses schèmes mentaux (Fleury, 1994). Selon Salomon (1972), les médias d’apprentissage doivent pouvoir jouer un rôle dans le processus de traitement de l’information en établissant un lien entre le savoir des apprenants et les nouvelles connaissances à développer.

Ainsi, la définition des médias d’apprentissage que l’on peut dégager est la suivante :

Les médias d’apprentissage sont des produits technologiques de consultation, de production et de gestion de l’apprentissage qui impliquent l’utilisation d’une ou de plusieurs infrastructures, d’un ou de véhicules et d’un ou de supports dans les relations pédagogiques et qui comprennent ou transmettent des messages dans le but de soutenir l’apprentissage.

Le produit peut être un logiciel, un progiciel, des diapositives, des acétates, une émission télévisée, une émission radiophonique, etc. (Plusieurs produits contiennent des messages éducatifs, comme c’est le cas des logiciels éducatifs. D’autres, comme les progiciels, contiennent des messages destinés à l’ensemble des utilisateurs.)

Les lignes qui suivent présentent sommairement ce dont il est question lorsqu’on parle d’infrastructures, de véhicules, de supports et de messages.

L’Infrastructure Médiatique

L’infrastructure comprend les installations physiques et technologiques ou logistiques mises à la disposition des apprenants, des formateurs et quelques fois des gestionnaires (salles de classe, bibliothèques, laboratoires, réseaux informatiques incluant des serveurs, des réseaux télématiques et des droits accès, la câblodistribution, etc.) qui soutiennent l’utilisation de véhicules et de supports dans le but de livrer les unités d’apprentissage du système d’apprentissage ou de permettre les échanges entre les acteurs du système d’apprentissage. L’infrastructure peut être décrite en termes d’attributs physiques et doit répondre à des critères de sélection telles la répartition géographique des apprenants, la qualité du réseau de distribution, l’accessibilité et la disponibilité de l’information, la capacité de récupération de l’information, la vitesse de transmission des informations, etc. Peu importe le type de système d’apprentissage, il y a toujours une infrastructure qui le supporte :

Le Véhicule

Le véhicule est un appareil intermédiaire qui sert à récupérer, traduire et transporter les unités d’apprentissage jusqu’à l’apprenant, lui permettant de recevoir, de percevoir et de traiter l’information. Un ordinateur, un magnétoscope, un projecteur par exemple, sont des véhicules. Le véhicule ne contient pas l’information et c’est plutôt le support qu’il utilise qui la contient. Un véhicule peut être décrit en termes relatifs à sa capacité de décodage, de récupération, à la vitesse de transmission ou de présentation de l’information, etc. Le mode de fonctionnement et de distribution des activités d’apprentissage conditionne le choix du véhicule et du ou des supports. Le véhicule, par son fonctionnement spécifique, vient préciser comment les informations seront récupérées et traitées par l’apprenant. Par exemple, la Télé-université dispense des cours par câblodistribution (infrastructure). Le téléviseur permet de recevoir les émissions télévisées (véhicule). L’apprenant regarde les émissions télévisées qui sont stockées sur les appareils du câblodistributeur (supports) et peut les enregistrer sur cassette vidéo (autre support).

Un véhicule est associé à ses périphériques et comprend le système d’exploitation qui régit son fonctionnement. On entend généralement par périphérique, tout instrument ou appareil rattaché à un ordinateur, un magnétoscope, un projecteur, etc. Il peut s’agir de la souris, de l’écran tactile, du crayon optique, du clavier, de manettes de jeu (joystick), d’une imprimante, d’un numériseur (scanner), d’un système d’obéissance à la voix, d’un modem, d’une télécommande, d’enceintes acoustiques, d’écran de projection, etc. Il est possible que des véhicules utilisant des systèmes d’exploitation différents soient utilisés dans un même système d’apprentissage. Il faut alors assurer la compatibilité des supports et des messages devant être récupérés par les apprenants, les formateurs et les gestionnaires.

Le Support

Le support est l’objet physique sur lequel est stockée l’information. Par exemple, une cassette VHS, un Cédéron, une cassette 4 pistes, une disquette, un disque dur ou un livre sont des supports qui contiennent le message pédagogique. Les supports sont définis en termes de capacité de stockage de l’information et de résistance physique (à la chaleur, au froid, à l’eau, à l’usure de temps, à l’utilisation, etc.). On dit qu’un support est solide lorsque sa résistance aux facteurs climatiques et à l’usure est élevée. Plus nombreux sont les apprenants à utiliser un support, et plus la durée de vie du système d’apprentissage est grande, alors plus le support doit être solide pour résister aux manipulations, aux conditions climatiques et au temps.

Plus les informations sont volumineuses, comme c’est le cas de bandes audiovisuelles numérisées, plus le support doit présenter de capacité de stockage et plus la vitesse de transmission des données de l’infrastructure doit être grande en systèmes de télé-apprentissage. De plus en plus, les systèmes d’apprentissage utilisent les sites interplanétaires (sites WEB) pour stocker l’information et de la rendre accessible.

Le Message

Le message est une combinaison du contenu et de la forme du message. La forme du message dépend d’abord du type de véhicule puis de l’infrastructure et du support. Par exemple, si des textes doivent être composés pour un site interplanétaire, le forme sera différente de celle d’un texte devant tenir sur un support papier. Il y a plusieurs sortes de messages qui dépendent du type de message et du codage qui forment le message :

Le contenu comprend le type de contenu et les données :

La définition du concept de média d’apprentissage telle que présentée ici peut servir à dégager des critères de la sélection des médias d’apprentissage et de la formulation des messages pédagogiques pour des situations pédagogiques ciblées. Dans les lignes qui suivent, deux principes généraux sont présentés. Ils constituent des pistes de réflexion pour l’élaboration d’un modèle de sélection des médias d’apprentissage.

Quelques Principes Généraux

Dans la sélection des médias, il est important de pouvoir répondre à la question : « Quels attributs spécifiques de quel média sont propres à favoriser l’apprentissage en fonction des traits caractéristiques des apprenants et compte tenu de quelle tâche d’apprentissage à accomplir? » (Heidt, 1978). Comme la recherche sur les médias n’a pas pu mettre en relation les médias et leur efficacité, les choix de médias sont fondés sur des critères tels les considérations économiques, la disponibilité du matériel, les préférences individuelles et les exigences administratives et organisationnelles (Heidt, 1978).

Deux principes généraux pour la sélection des médias d’apprentissage s’adaptent particulièrement bien au concept de média d’apprentissage développé dans ce texte et à la conception du rôle des médias d’apprentissage pour les relations pédagogiques. La sélection des médias d’apprentissage peut s’opérationnaliser à partir du principe général de sélection négative de Tosti et Ball (1969), qui veut que des solutions s’éliminent d’elles mêmes aussitôt qu’elles ne rencontrent les besoins techniques ou pédagogiques du système d’apprentissage. Par exemple, l’utilisation du rétroprojecteur est éliminée d’emblée lorsque le mode de livraison du système d’apprentissage utilise la télématique. Aussi, un média qui ne peut pas représenter le mouvement, comme la bande audio ou l’acétate, est éliminé pour tout contenu portant sur des relations de causes à effet, les mouvements en activité sportive, etc. Le principe de sélection négative suppose qu’un inventaire des médias d’apprentissage potentiels est disponible au moment des activités de macrodesign.

Si l’on poursuit le raisonnement amorcé plus haut, on pourrait dire que la sélection des médias d’apprentissage consiste à déterminer et décrire d’abord la situation pédagogique dans laquelle s’inscrit le système d’apprentissage. Cette description doit préciser les critères qui serviront à éliminer des médias. Ensuite, il faut identifier, pour cette situation pédagogique spécifique, l’infrastructure du système d’apprentissage qui correspond le mieux à la situation pédagogique. Les véhicules qui composeront le système d’apprentissage et permettront de définir le mode de traitement de l’information et les supports qui permettront de transmettre, de récupérer et de traiter des informations seront choisis à partir du principe de sélection négative. La formulation du message pédagogique dépendra du type d’infrastructure(s), du (ou des) véhicules et du (ou des) supports sur lequel le message sera emmagasiné. Le contenu et la forme du message dépendent de la combinaison infrastructure + véhicule + support. Les supports dépendent aussi du volume d’information à transmettre et de leur solidité en regard de la situation pédagogique.

L’autre principe qui est applicable tant dans la sélection que dans la formulation du message pédagogique est liés au mode compensatoire des médias. Le principe de supplantation de Salomon (1979) stipule que le média peut remplacer un sous-processus de traitement de l’information, ce qui le rend hors du contrôle de l’apprenant. La compréhension des processus cognitifs devrait permettre au concepteur de choisir, en connaissance de cause, le traitement compensatoire adéquat pour les apprenants, selon les contenus et les connaissances préalables des apprenants. La supplantation permet de formuler de meilleurs messages pour alléger des opérations mentales en dirigeant l’attention sur ce qui est essentiel (Tremblay, 1986).

Les médias peuvent différer par rapport à la nature du processus de traitement de l’information à supplanter et au niveau de supplantation à atteindre. Plus le message présente une structure forte, plus le niveau de supplantation des étapes du processus de traitement de l’information est élevé et moins l’apprenant est actif dans son apprentissage. L’adéquation entre les attributs des médias et la situation réelle à représenter est une condition à respecter dans le choix des médias d’apprentissage et la formulation des messages pédagogiques.

Ces deux principes peuvent servir d’assises au développement d’un modèle de sélection des médias d’apprentissage, qui constituera l’objet d’une partie des travaux de recherche du Centre de recherche LICEF dans les prochains mois.

Conclusion

Le présent texte a présenté une vision du concept de média d’apprentissage. Les médias d’apprentissage sont définis comme étant des produits technologiques de consultation, de production de l’information et de gestion de l’apprentissage qui impliquent l’utilisation d’une ou de plusieurs infrastructures, d’un ou de véhicules et d’un ou de supports dans les relations pédagogiques et qui contiennent ou transmettent des messages, dans le but de soutenir l’apprentissage (et/ou en suppléant à des fonctions cognitives).

Le concept de média d’apprentissage décrit dans ces pages permet de combiner les aspects technologiques des médias d’apprentissage et d’exploiter les avantages des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans la médiatisation des relations pédagogiques. À partir de ce concept, il est possible d’élaborer un modèle de sélection des médias d’apprentissage et de formulation du messages pédagogiques.

Références

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Giardina, M. (1992). L’Interactivité dans un environnement multimédia. Revue des sciences de l’éducation, XVIII(1), pp. 43-66.

Heidt, E. U. (1978). Instructional media and the individual learner. New York: Nichols.

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Salomon, G. (1972). Heuristics models for the generation of aptitude-treatment interaction hypotheses. Review of Educational Research, 42(3), p. 340.

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Sauvé, L. (1992). Éléments d’une théorie du design pédagogique en éducationrelative à l’environnement : Élaboration d’un supramodèle pédagogique (Tome 1). Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal.

Schramm, W. (1977). Big media, little media. Beverly Hills: Sage.

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Tosti, D.T., & Ball, J. R. (1969). A behavioral approach to instructional design and media selection. AV Communications Review, 1, 5-25.

Tremblay, Y. (1986). Médias, symboles et styles d’apprentissage. Montréal : Bellarmin.

Endnotes

1. Média d'apprentissage ou environnement médiatique d'apprentissage sont synonymes dans la définition présentée ici.


Johanne Rocheleau est chercheure au Centre de recherche LICEF (Télé-université à Montréal). Elle collabore à deux projets de recherche, l’un, la recherche-action « L’école informatisée Clés en main », et l’autre, une recherche-développement pour l’élaboration d’une méthode d’ingénierie de systèmes de télé-apprentissage (MISTA). Outre ses activités de recherche, elle est chargée de cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et complète un doctorat à l’Université du Québec à Hull en éducation (technologies éducationnelles).