Le développement professionnel des enseignants en contexte de mise en réseau de petites écoles rurales géographiquement distantes : au-delà de l’alphabétisation technologique

Stéphane Allaire, Thérèse Laferrière, Julia Gaudreault-Perron et Christine Hamel

VOL. 23, No. 3, 25 - 52

Résumé

L’article traite du développement professionnel des enseignants dans le contexte de l’École éloignée en réseau, une initiative ministérielle destinée à relier les classes d’écoles rurales par le biais de technologies collaboratives, et ce à des fins d’enrichissement de l’environnement d’apprentissage. Les douze compétences professionnelles (MEQ, 2001) ont servi de cadre de référence à l’élaboration d’un questionnaire visant à évaluer la perception des enseignants de leur propre développement professionnel dans le cadre de l’initiative. Des entretiens semi-structurés ont aussi été menés. Les résultats révèlent notamment une mobilisation des compétences qui va bien au-delà de la compétence à utiliser des outils technologiques.

Abstract

This article examines the professional development of teachers that participated in the Remote Networked Schools initiative, one that aims to link classrooms of rural schools with collaborative technologies to enrich their learning environment. Professional competencies (MEQ, 2001) were the framework adopted for the conception of a questionnaire that evaluated teachers' perception of their own professional development in the context of the ministry initiative. Semi-structured interviews were also conducted. Results reveal in particular that mobilization of competencies goes beyond the competency to integrate technologies into teaching and learning.

Introduction

Le système éducatif québécois dénombre plusieurs petites écoles, dont une proportion importante est située en milieu rural. Le phénomène d’exode vers les centres urbains et le déclin du taux de natalité qui frappent la province depuis nombre d’années ne sont pas sans conséquence pour ces écoles. Notamment, la baisse démographique a entraîné une diminution importante du nombre d’élèves. Une telle chute est susceptible d’affecter la distribution des ressources humaines et matérielles qui contribuent à la qualité de l’environnement d’apprentissage offert aux élèves. Ces derniers étant peu nombreux et souvent en contact avec les mêmes camarades pendant plusieurs années consécutives, des milieux sont aux prises avec une problématique d’interactions sociales à des fins d’apprentissage qui sont limitées. Les enseignants étant peu nombreux à œuvrer au sein d’une même école, ils sont alors plus susceptibles de vivre de l’isolement professionnel. De plus, ils doivent composer avec des modes d’organisation de la classe (par exemple des classes multiâges) qui leur sont parfois peu familiers. Quant à l’école rurale, elle doit souvent composer avec un fort taux de roulement du personnel et avec une présence de ressources spécialisées parfois plus modeste qu’ailleurs (Laferrière, Breuleux & Inchauspé, 2004).

Considérant de tels éléments, d’aucuns pourraient s’interroger à propos de ce qu’il en est de la qualité de l’environnement d’apprentissage de ces petites écoles. C’est avec cette question en tête, et celle de l’égalité d’accès et de succès, qu’une équipe de recherche interuniversitaire a entrepris l’initiative École éloignée en réseau (ÉÉR) au début des années 2000, en collaboration avec le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) du Québec et le Centre francophone pour l’informatisation des organisations (CEFRIO)FN1. La perspective des sciences de l’apprentissage (learning sciences) (Bransford, Brown & Cocking, 1999) et la recension des pratiques éducatives d’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC) les plus prometteuses au plan international (Laferrière & Breuleux, 2002) ont permis de considérer le concept de « mise en réseau des écoles » comme un levier potentiel pour pallier les enjeux identifiés précédemment.

L’approche de mise en réseau vise principalement à relier, par le biais de la technologie et de la large bande passante (Internet haute vitesse), des élèves d’écoles géographiquement dispersées, à partir de leur classe, en vue d’accroître les interactions sociales nécessaires à l’apprentissage. Par conséquent, l’accent se situe davantage sur les interactions entre les individus eux-mêmes plutôt que sur les interactions entre l’individu et la technologie, bien que ces dernières soient néanmoins présentes. De plus, la mise en réseau d’écoles ne vise pas à :

… suppléer à l’absence ou à la fermeture d’une école en permettant aux enfants d’accéder à distance à des services d’enseignement. Il s’agit [plutôt] de renforcer les capacités d’intervention d’écoles existantes, en les mettant en réseau avec d’autres écoles et d’autres ressources. Ainsi, la classe et l’école sont des réalités présentes avec des élèves et des enseignants. Par la mise en réseau de certaines de leurs activités d’apprentissage, on veut leur donner plus de possibilités… (Laferrière, Breuleux & Inchauspé, 2004, p. 10).

En d’autres termes, il ne s’agit donc pas de brancher des élèves à distance à des enseignants qui eux s’affairent, du lieu d’un centre de formation, à produire et dispenser du matériel destiné essentiellement à l’auto apprentissage. Il s’agit plutôt de cultiver une dynamique de collaboration qui puisse permettre la convergence et la mise en commun d’expertises et de ressources qui sont distribuées géographiquement afin de consolider et de bonifier la dynamique locale qui a cours dans l’école rurale qui se met en réseau avec d’autres. Pour ce faire, un logiciel de vidéoconférence (iVisit) et un forum de coélaboration de connaissances (Knowledge Forum) (Bereiter & Scardamalia, 1993) sont ajoutés aux outils dont la classe dispose déjà.

Bien qu’une vingtaine de commissions scolaires aient aujourd’hui des écoles qui sont reliées par le biais du réseau, une telle approche était pratiquement inexistante au Québec au début des années 2000. En vue d’amorcer son déploiement, une dynamique de recherche-action a donc été privilégiée et, plus particulièrement, c’est l’expérimentation de devis (design experiment) (Brown, 1992; Collins, 1992, 1999) qui a été choisie comme méthode de recherche afin que l’innovation puisse le plus possible prendre racine en contexte écologique, c’est-à-dire au sein même du principal lieu de travail des acteurs de premier plan, soit les enseignants. Une telle façon de faire in situ est identifiée par plusieurs auteurs comme un gage de l’ancrage du changement de pratiques (Garet, Porter, Desimone & Suk Yoon, 2001; Butler, 2005; Rennie, 2001; Palincsar, Magnussen, Marano, Ford & Brown, 1998).

Dans un contexte d’innovation, et d’innovation sociotechnologique tel que celui d’ÉÉR, le développement professionnel devient une clé de voûte au changement (Fullan & Hargreaves, 1992; Guskey, 2002). D’une part, il peut soutenir les enseignants dans leur démarche d’appropriation de réalités et de pratiques émergentes (Brodeur, Deaudelin, & Bru, 2005). D’autre part, il est susceptible de donner lieu à de nouveaux acquis et d’enrichir leurs compétences professionnelles (Day, 1999). C’est de ce dernier aspect dont il sera principalement question dans cet article. Nous nous intéressons de façon plus spécifique à l’apport de la participation à ÉÉR sur la mobilisation des compétences professionnelles. Cet apport est investigué à partir des perceptions des enseignants.

Contexte théorique

Le concept de développement professionnel est polysémique et l’acception définie par Day (1999, cité et traduit librement par Brodeur, Deaudelin & Bru, 2005) en représente bien l’étendue et la globalité. Day présente le concept comme un :

… processus par lequel, individuellement et collectivement, les enseignants révisent, renouvellent et augmentent leur engagement en tant qu’agents de changement, aux fins morales de l’éducation. Grâce à ce processus, ils acquièrent et développent de façon critique le savoir, les habiletés et l’intelligence émotionnelle qui sont essentiels à une pensée, à une planification et à une pratique de qualité, tout au long de la vie professionnelle (p. 4).

Cette représentation met bien en relief une double dimension du développement professionnel, soit celle de processus et de produit. D’une part, en valorisant et en participant au déploiement d’une innovation donnée (Cumming et Owen, 2001), voire à la création de connaissances inédites (UNESCO, 2008), l’enseignant s’inscrit dans une démarche de développement professionnel. Ce processus est éventuellement susceptible, d’autre part, de contribuer à l’atteinte d’un niveau de développement accru où l’enseignant a alors accès à des ressources dont il ne disposait pas auparavant et qu’il peut nouvellement réinvestir dans ses activités et ses pratiques. Ainsi, tantôt processus, tantôt produit, le développement professionnel contribue à la maîtrise de savoirs du domaine, à la prise de conscience des pratiques et des connaissances qui influent sur la prise de décision (Gersten, Vaughn, Deshler & Shiller, 1997), mais surtout à la qualité de l’éducation dans la classe puisqu’il vise, ultimement, l’apprentissage des élèves et leur réussite scolaire (Cumming & Owen, 2001; Day, 1999).

Au Québec, les attentes quant au développement professionnel des enseignants, et ce, dès la formation initiale, sont stipulées dans le cadre de référence des douze compétences professionnelles (ministère de l’Éducation du Québec, 2001)FN2. Elles définissent et balisent les pratiques de la profession. Par compétence, nous entendons la capacité de mobiliser, d’intégrer et d’orchestrer dans l’action, c’est-à-dire en contexte, diverses ressources pertinentes pour faire face à un type de situations (Perrenoud, 1999; Le Boterf, 1997; 2000). Ainsi, la compétence fait appel à un ensemble de ressources et elle se déploie en contexte professionnel réel. Elle est de l’ordre du savoir-mobiliser et du savoir-agir en regard d’intentions réfléchies. C’est donc du lieu même de la classe de l’enseignant, et en regard du cheminement qu’il veut amener ses élèves à accomplir que ses compétences professionnelles se déploient.

Regroupées en quatre grands blocs, elles sont les suivantes :

Fondements

  1. Agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions;
  2. Communiquer clairement et correctement dans la langue d’enseignement, à l’oral et à l’écrit, dans les divers contextes liés à la profession enseignante;

Acte d’enseigner

  1. Concevoir des situations d’enseignement/apprentissage pour les contenus à faire apprendre, et ce, en fonction des élèves concernés et du développement des compétences visées dans le programme de formation;
  2. Piloter des situations d’enseignement/apprentissage pour les contenus à faire apprendre, et ce, en fonction des élèves concernés et du développement des compétences visées dans le programme de formation;
  3. Évaluer la progression des apprentissages et le degré d’acquisition des compétences des élèves pour les contenus à faire apprendre;
  4. Planifier, organiser et superviser le mode de fonctionnement du groupe-classe en vue de favoriser l’apprentissage et la socialisation des élèves;

Contexte scolaire et social

  1. Adapter ses interventions aux besoins et aux caractéristiques des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, d’adaptation ou un handicap;
  2. Intégrer les technologies de l’information et de la communication aux fins de préparation et de pilotage d’activités d’enseignement/apprentissage, de gestion de l’enseignement et de développement professionnel;
  3. Coopérer avec l’équipe-école, les parents, les différents partenaires sociaux et les élèves en vue de l’atteinte des objectifs éducatifs de l’école;
  4. Travailler de concert avec les membres de l’équipe pédagogique à la réalisation des tâches permettant le développement et l’évaluation des compétences visées dans le programme de formation, et ce, en fonction des élèves concernés;

Identité professionnelle

  1. S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel;
  2. Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions. (MEQ, 2001, p. 65).

D’autre part, il importe aussi de rappeler que, dans le référentiel du MEQ (2001), chaque compétence est détaillée en composantes, et ce, afin de rendre compte de quelle façon sa mise en œuvre peut s’effectuer en contexte réel de pratique. Ainsi, ces composantes servent de points de repère à la mise en pratique des compétences; elles décrivent des gestes professionnels propres au travail enseignant.

Par ailleurs, Day (1999) soutient que le développement professionnel peut survenir autant par le biais d’expériences d’apprentissage spontanées que par celles qui sont planifiées et conscientes. En ce sens, il apparaît important de tenir compte d’aspects qui sont à la fois délibérés et émergents dans l’évaluation et la compréhension de la façon dont une telle démarche est vécue et des retombées qu’elle peut engendrer. Lorsque la démarche est planifiée, Garet et ses collaborateurs (2001) soulignent trois éléments qui peuvent contribuer de façon particulièrement importante à l’amélioration des connaissances. D’abord, la démarche de développement professionnel a intérêt à 1) mettre un accent sur les connaissances liées au contenu, ce qui permet d’étayer notamment une conceptualisation de la pratique enseignante. D’autre part, et comme d’autres auteurs le rapportent (Butler, 2005; Palincsar et al., 1998; Rennie, 2001), la démarche doit 2) offrir des occasions d’apprentissage actif et in situ afin de soutenir l’arrimage des nouvelles connaissances aux pratiques actuelles. Enfin, Garet et al. (2001) soulignent aussi 3) l’importance de la cohérence des activités proposées avec la nature de celles qui sont vécues en classe avec les élèves. Kremer-Hayon et Tillema (1999) renchérissent en arguant 4) l’importance de l’autorégulation en cours de processus pour en assumer son contrôle et son optimisation (Zimmerman, Bonner & Kovach, 1996).

Guskey (2002) ainsi que Pintrich, Marx et Boyle (1993) se sont quant à eux intéressés aux indicateurs de développement professionnel. Ils les regroupent en deux principales catégories de changements, soit ceux qui surviennent au niveau de l’apprentissage des élèves et ceux qui surviennent au niveau de l’enseignant. Cette dernière catégorie renferme les changements qui se produisent dans les pratiques éducatives de même que ceux qui touchent aux croyances. C’est sur la dimension des pratiques que se concentre le présent article puisque la mise en place des conditions de développement professionnel voulait d’abord favoriser des changements dans les façons d’intervenir en classe. Cela dit, il importe de préciser que bien que les croyances dans le contexte de l’ÉÉR et leurs conditions de changement (plausibilité, intelligibilité et productivité accrue) fassent l’objet d’un traitement plus approfondi dans un autre manuscrit (Hamel, Laferrière & Gaudreault-Perron, en préparation), la dimension des croyances est intimement liée à celle des pratiques. En effet, nombre de travaux ont démontré une relation entre les pratiques et les croyances (Fang, 1996; Guskey, 2002; Richardson, 1996; Charlier, 1998; Tillema & Knol, 1997; Pajares, 1992). Or, les résultats sont mitigés quant à savoir si un changement dans les pratiques précède ou suit un changement au niveau des croyances. Sous réserve d’une compréhension approfondie d’un tel lien, le présent article s’en tient à la mobilisation perçue des compétences par les premiers agents de leur développement professionnel, soit les enseignants eux-mêmes.

Méthodologie : l’expérimentation de devis

Brown (1992) et Collins (1992, 1999) présentent l’expérimentation de devis selon deux pôles généraux : l’un centré sur le développement du processus d’innovation à mettre en œuvre et l’autre axé sur son évaluation, c’est-à-dire ses retombées. Appliqué à l’ÉÉR et de façon spécifique à son contexte de développement professionnel, le pôle « développement » de l’expérimentation de devis correspond aux modalités de développement professionnel mises en place en vue de soutenir le processus d’innovation. Quant au pôle « évaluation », il concerne la nature même des retombées de l’innovation, en l’occurrence celles sur les pratiques éducatives qui sont ici documentées en regard des compétences professionnelles. Nous présentons le détail de ces deux pôles en regard du sujet spécifique traité dans l’article soit, rappelons-le, l’apport de la participation à ÉÉR sur la mobilisation des compétences professionnelles d’enseignants.

Différentes modalités de développement professionnel ont été mises à la disposition des enseignants qui contribuent au déploiement de l’ÉÉR afin de soutenir leur effort à travers ce processus.

Le modèle d’innovation mis en place dans le cadre de l’ÉÉR a circonscrit, dès le départ, la nature des pratiques de mise en réseau à privilégier. L’idée initiale n’était pas tant de contraindre ce qui devait s’y faire, mais plutôt de proposer des balises provenant de connaissances probantes et offrant des possibilités prometteuses en vue d’éclairer les choix et les décisions des enseignants. Ainsi, le modèle de mise en réseau et d’utilisation des technologies a-t-il privilégié les interactions sociales, en particulier celles prenant place entre élèves. De plus, la perspective constructiviste de la coélaboration de connaissances (Scardamalia, Bereiter & Lamon, 1994) a été mise de l’avant, notamment en valorisant des principes pédagogiques clés y étant reliés, mais aussi en proposant une technologie conçue particulièrement pour soutenir ce processus, soit le Knowledge Forum.FN3

Par coélaboration de connaissances, il est entendu l’avancement d’idées qui ont de la valeur pour une communauté donnée, en l’occurrence des classes d’écoles différentes qui travaillent en réseau. Dans le contexte d’ÉÉR, la valorisation de ce processus dans les interventions des enseignants passe par deux principes. D’une part, les enseignants sont amenés à faire travailler les élèves à partir de problèmes authentiques. D’autre part, ils les amènent à améliorer les idées qu’ils élaborent en collaboration en vue de mieux comprendre des questions complexes reliées aux différents domaines d’apprentissage du Programme de formation de l’école québécoise. C’est dans ce contexte que le Knowledge Forum permet de soutenir les interactions écrites asynchrones qui prennent place entre les élèves, ses affordances étant spécialement conçues pour soutenir l’amélioration des idées par la voie d’une démarche collective.

Une autre modalité de développement professionnel importante mise en place pour soutenir les connaissances liées au contenu de l’innovation de l’ÉÉR a trait au déroulement de rencontres – en réseau ou en face à face – favorisant les échanges et les témoignages autour de questions, d’enjeux ou de problèmes provenant de la pratique de mise en réseau des enseignants. Ces rencontres sont animées autant par l’équipe de recherche-intervention que par des enseignants reconnus. Elles visent à en initier de nouveaux et à alimenter la réflexion sur la pratique de ceux qui interviennent déjà en réseau.

Enfin, une dernière modalité concerne l’organisation de sessions de transfert qui constituent des moments charnières pour faire le point quant à l’avancement des connaissances dans l’ÉÉR avec les différents acteurs impliqués dans l’initiative, dont les enseignants.

Un principe central mis de l’avant dans le processus d’appropriation de l’ÉÉR est celui du learning by doing alors que, de façon itérative et en réfléchissant sur ce qui a été vécu, les enseignants peaufinent et raffinent progressivement de réelles expériences de mise en réseau de la classe. Ainsi, les formations préalables hors contexte sont minimales et c’est plutôt une dynamique d’intégration aux pratiques actuelles des enseignants qui prévaut, en tenant compte de la compréhension qu’ils se forgent des balises du modèle initialement proposé de l’ÉÉR. À cet effet, un critère de cohérence appert fondamental, soit l’ancrage de la participation aux intentions pédagogiques des enseignants. Quels sont les buts que ces derniers poursuivent ? Ainsi, l’appropriation de la dynamique de mise en réseau est envisagée en concordance avec les apprentissages qu’ils veulent que les élèves effectuent, de telle sorte que cette appropriation ne se produise pas en vase clos des préoccupations quotidiennes mais qu’elle s’y arrime plutôt.

Une caractéristique importante de l’expérimentation de devis réside dans un déploiement de l’innovation qui tienne compte de la complexité des interactions qui prévalent dans une classe. Ainsi, il ne s’agit pas d’élaborer des situations en réseau qui doivent se dérouler en vase clos, mais qui s’arriment plutôt aux autres activités de la classe. Une mise en œuvre selon une telle approche dite écologique est alors plus susceptible de soutenir une intégration des nouveaux outils technologiques et conceptuels aux pratiques existantes. De plus, en mettant au premier plan les intentions pédagogiques des enseignants dans le cadre du déploiement de l’ÉÉR, cela veut contribuer à l’atteinte d’une cohérence entre la nature des activités proposées par le modèle d’innovation et celles qui prévalent dans les classes.

Une quatrième modalité de développement professionnel visant à soutenir l’appropriation du dispositif d’innovation de l’ÉÉR consiste à offrir des opportunités d’autorégulation. Celles-ci se concrétisent de deux principales façons. D’une part, un soutien juste à temps est disponible en vidéoconférence à tout moment de la journée. Les enseignants peuvent y consulter une personne compétente en temps réel pour discuter de toute question d’ordre pédagogique et technologique en lien avec l’initiative de l’ÉÉR. L’approche privilégie un proche accompagnement (Dede, 2004), c’est-à-dire un soutien selon les besoins ponctuels qui sont manifestés.

D’autre part, des bilans de résultats itératifs sont remis aux participants à quelques reprises au cours d’une année scolaire. Il s’agit essentiellement de données descriptives qui visent à éclairer l’action. En ce qui a trait aux bilans qui s’adressent aux enseignants, on y retrouve des renseignements relatifs aux activités qui se sont déroulées en réseau, de même que d’autres qui concernent les processus de classe et les résultats d’apprentissage des élèves. Ces bilans servent à alimenter des échanges à propos des tenants et aboutissants des pratiques de mise en réseau de sorte à mieux comprendre ce qui s’y déroule et à les bonifier dans une perspective constructive.

Ces différentes modalités mises en place dans le cadre de l’expérimentation de devis visent à alimenter de diverses façons le processus de développement professionnel des enseignants dans leur effort d’appropriation de l’innovation de l’ÉÉR. Nous présentons maintenant la méthode de collecte et d’analyse de données utilisée afin d’évaluer les retombées de la participation des enseignants au dispositif ÉÉR sur la mobilisation de leurs compétences professionnelles.

Considérant la dimension progressive inhérente au raffinement d’une compétence (Perrenoud, 1999; Le Boterf, 1997) et le fait que le développement professionnel s’inscrit dans un continuum qui s’amorce en formation initiale et se poursuit tout au long de la carrière (Feiman-Nemser, 2001), nous avons utilisé le référentiel du MEQ (2001) pour évaluer les retombées de la participation à ÉÉR sur la mobilisation des compétences des enseignants. D’ailleurs, à ce sujet, le MEQ précise que «… les énoncés concernant les compétences professionnelles ainsi que les composantes qui leur sont rattachées s’appliquent à tous les maîtres, qu’ils soient chevronnés ou débutants » (p. 63).

Un questionnaire en ligne anonyme (accès protégé par un code d’accès) – à noter que les répondants identifiaient leur commission scolaire de provenance – de 79 questions a été élaboré. Il comportait deux sections. La première section renfermait onze questions et elle visait à recueillir des informations à propos du profil des répondants (n = 58) qui provenaient de onze commissions scolaires. De façon plus spécifique, ces questions concernaient la provenance géographique, l’expérience en enseignement et la participation à l’initiative ÉÉR.

La deuxième section du questionnaire se concentrait quant à elle de façon spécifique sur la mobilisation des compétences professionnelles des répondants dans le contexte de l’ÉÉR, en les amenant à identifier ce que ce contexte leur a permis de mettre en œuvre. La question générale suivante chapeautait l’ensemble de la section :

Dites jusqu’à quel point vous êtes en accord avec les énoncés suivants quant à ce que l’ÉÉR vous a permis d’accomplir ou non.

Ainsi, en considérant ce que j’ai vécu dans l’ÉÉR, je peux dire que ma participation à sa mise en œuvre m’a amené à…

À partir de cette question, soixante-huit énoncés relatifs aux composantes des douze compétences professionnelles présentées précédemment devaient être évalués par les répondants à partir d’une échelle de Likert à quatre niveaux : (1) Tout à fait d’accord, (2) Plutôt d’accord, (3) Plutôt en désaccord, (4) Tout à fait en désaccord. Par exemple :

En considérant ce que j’ai vécu dans l’ÉÉR, je peux dire que ma participation à sa mise en œuvre m’a amené à :

- Utiliser les technologies de l’information et de la communication pour rechercher de l’information.
- À coordonner mes interventions professionnelles avec celles d’intervenants spécialisés.
- À élaborer des activités d’apprentissage qui tiennent compte des contraintes de la classe.

Pour chaque énoncé, les participants avaient aussi la possibilité de répondre « Je ne sais pas » ou « Ne s’applique pas ». Dépendamment de la compétence, le nombre d’énoncés la concernant pouvait varier de trois à neuf. À titre d’exemple, neuf énoncés concernaient la huitième compétence professionnelle (Utilisation des technologies de l’information et de la communication) alors que trois énoncés concernaient la douzième compétence, soit celle relative à l’éthique professionnelle. Il est à noter que l’univocité des énoncés avait été validée au préalable auprès de deux enseignantes. Après cette consultation, des changements mineurs ont été apportés à quelques énoncés dans le but d’en préciser le sens. En ce qui a trait à la passation, le questionnaire a été distribué en fin d’année scolaire 2007-2008.

Par ailleurs, des entretiens semi-structurés ont aussi été menés en fin d’année scolaire 2007-2008 auprès de quelques enseignants ciblés (n = 27) afin d’obtenir davantage de détails qualitatifs quant à leur implication dans l’initiative de l’ ÉÉR et aux retombées pour leur propre développement professionnel et l’apprentissage des élèves. Pour participer à un entretien, l’enseignant devait avoir effectué des activités en réseau avec sa classe au cours de l’année scolaire. Chaque entretien a duré entre 30 et 60 minutes et s’est déroulé en vidéoconférence (accès protégé par un code d’accès).

° Analyse de données

Les données colligées par le biais du questionnaire ont fait l’objet d’analyses statistiques à l’aide du logiciel SPSS. Deux principaux types d’analyses ont été effectués, soit des analyses descriptives, dont les résultats obtenus à l’échelle de Likert quant à l’accord avec les énoncés proposés ont été transformés en pourcentage pour en faciliter la compréhension, et des analyses de variances (ANOVA). Ces dernières avaient pour but d’identifier des effets possibles en regard des facteurs suivants : la commission scolaire d’appartenance, le nombre d’années de participation dans l’ÉÉR, le nombre d’années d’enseignement, le nombre d’heures d’investissement mensuel dans l’ÉÉR, le niveau d’enseignement, le sentiment d’isolement professionnel, la perception des conditions d’apprentissage offertes par l’ÉÉR et le plaisir de travailler dans un tel contexte. En ce qui a trait aux réponses « Ne s’applique pas », elles ont été considérées comme des absences de réponse lors de la conduite des analyses statistiques. Les réponses « Je ne sais pas » ont quant à elles été remplacées par le score moyen des répondants à l’énoncé concerné.

En ce qui a trait aux données provenant des entretiens, la transcription (verbatim) de six d’entre eux, choisis de façon aléatoire, a été codée à partir d’une grille d’analyse qui s’est arrimée de près aux douze compétences professionnelles et leurs composantes. Ainsi, en considérant la phrase comme unité de sens afin de les repérer dans leur expression la plus condensée tout en assurant leur claire délimitation (van Dijk, 1981), chaque passage a été identifié comme étant contributoire à l’une ou l’autre des compétences du référentiel ministériel. Une telle analyse avait pour objectif d’apporter des illustrations concrètes en complément aux résultats de nature quantitative obtenus par les questionnaires. Ainsi, en ce qui a trait à l’utilisation des données des entretiens, l’intention à ce stade-ci n’était pas de rendre compte de l’ensemble des propos tenus par les personnes interrogées, mais bien d’illustrer, à partir de quelques exemples, la façon dont le développement des compétences professionnelles constaté par les analyses quantitatives a pu s’effectuer.

Résultats

Cette section présente les résultats obtenus à la suite des analyses qui ont été menées. Elle est divisée en trois parties : profil des répondants, développement des compétences professionnelles et comparaisons intergroupes.

Cinquante-huit enseignants provenant de onze commissions scolaires ont répondu au questionnaire. La majorité des répondants enseignent depuis plus de cinq ans (87,9 %). En ce qui a trait aux autres, 5,2 % ont moins de deux ans d’expérience en enseignement et 6,9 % possèdent entre deux et cinq ans d’expérience (6,9 %). En ce qui a trait au nombre d’années de participation dans l’ÉÉR, les répondants se répartissent dans une proportion semblable. Ils sont 29,3 % à participer à l’ÉÉR depuis plus de trois ans alors que 37,9 % y participent depuis un à trois ans et 32,8 % depuis moins d’un an.

En regard de l’utilisation des outils de mise en réseau (vidéoconférence et forum de coélaboration de connaissances), la moitié des répondants a admis que leur classe les a utilisés moins de cinq heures par mois (53,4 %). Le tiers des enseignants les a utilisés entre cinq et dix heures par mois (34,5 %) alors que 10,3 % les a mis à contribution entre onze et vingt heures par mois. D’autre part, un seul enseignant (1,7 %) a dit les avoir utilisés avec sa classe à raison de plus de trente heures par mois. La majorité des répondants ont principalement utilisé la vidéoconférence (62,1 %) alors que 25,9 % ont surtout utilisé le forum de coélaboration de connaissances. Enfin, 12,1 % d’entre eux ont utilisé les deux outils dans une proportion semblable.

En ce qui concerne le sentiment d’isolement professionnel, 39,7 % des répondants se sentaient isolés dans leur pratique professionnelle avant de s’engager dans l’ÉÉR. Depuis qu’ils sont engagés dans l’initiative, seulement un enseignant (1,7 %) dit encore éprouver ce sentiment.

Quant à l’intérêt de travailler dans une école éloignée en réseau, 87,9 % des répondants ont dit aimer cela, comparativement à 6,9 % qui ont affirmé être indifférents et 5,3 % qui ont prétendu ne pas beaucoup aimer cela. Un peu plus de la moitié des répondants ont affirmé avoir l’impression que les conditions d’apprentissage pour leurs élèves sont meilleures dans l’ÉÉR (51,7 %) alors que 46,6 % les jugent semblables. En contrepartie, seulement un enseignant (1,7 %) juge les conditions d’apprentissage moins favorables pour les élèves dans l’ÉÉR.

• Développement des compétences professionnelles

Cette partie présente les résultats relatifs à la mobilisation des compétences professionnelles des enseignants dans le cadre de leur participation à l’initiative de l’ÉÉR. La figure 1 présente le résultat global pour chacune des compétences. Celles-ci seront ensuite détaillées en regard des principaux aspects saillants qui se dégagent des résultats, aspects qui seront appuyés par des extraits d’entretiens afin d’illustrer de quelle façon leur déploiement s’est produit auprès de quelques répondants.

Fig. 1: Apport de la participation des enseignants à l’ÉÉR sur la mobilisation
de leurs compétences professionnelles

On remarque que, du point de vue des enseignants, les trois compétences que l’ÉÉR a le plus mobilisées sont les compétences de pilotage de situations d’enseignement/apprentissage (compétence 4) (84,4 %)FN4, d’agissement à titre de professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture (compétence 1) (83,9 %) et de planification de situations d’enseignement/apprentissage (compétence 3) (83,3 %). L’ÉÉR a aussi joué un rôle dans la mobilisation des autres compétences. Les pourcentages les plus faibles sont néanmoins éloquents quant à la contribution perçue d’ÉÉR à leur mobilisation, soit les compétences de coopération avec l’équipe-école, les parents et les différents partenaires sociaux en vue de l’atteinte des objectifs éducatifs de l’école (compétence 9) (64,9 %), d’adaptation des interventions aux besoins des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, d’adaptation ou un handicap (compétence 7) (69,8 %) et d’évaluation de la progression des apprentissages des élèves (compétence 5) (70,9 %).

Parmi les constats les plus probants, 90 % des enseignants se sont dit plutôt en accord ou tout à fait en accord avec le fait que leur participation à la mise en œuvre d’ÉÉR a contribué à la mobilisation des énoncés de composantes suivants.

- Partager des idées et collaborer régulièrement avec des collègues (compétence 10) (94,9 %FN5).

Le partage et la collaboration ont pris forme tôt dans l’élaboration d’activités et ils s’inscrivaient dans une complémentarité de rencontres en face à face et en réseau. « On a fait des rencontres virtuelles et des rencontres physiques. Ainsi, on débutait nos projets, puis après ça, dépendamment du projet, on décidait si c’était réalisable toutes les écoles ou si on était mieux de se jumeler avec une ou deux écoles [seulement]. »

Non seulement la collaboration a-t-elle aussi pris forme avec des intervenants autres que des enseignants, mais elle a pu servir à la conception d’outils permettant de supporter l’intervention d’enseignants auprès de leurs élèves.

Aussi, on a bâti des outils avec un conseiller pédagogique qui était affilié avec l’ÉÉR. On a bâti, sur papier, des balises, un peu pour montrer le principe de Knowledge Forum pour « élever le propos ». On leur montrait par cet outil comment faire la synthèse [des échanges], en prenant exemple sur les concepts de « générique » et de « spécifique ».

Dans d’autres cas, le fait d’être en réseau a amené des transformations au cœur même du rôle des enseignants alors qu’ils ont partagé la prise en charge de groupes d’élèves et leur intervention auprès d’eux.

J’ai une collègue de travail entre autres qui m’avait demandé - elle était en retard avec ses élèves de sixième année, puis moi j’ai une 5 et 6 - d’enseigner des notions à ses élèves de cinquième. Donc ça, c’est mon rôle d’enseignante en réseau… Ça donne une plus grande aide, tu peux amener un meilleur support aux personnes qui t’entourent. Tu peux trouver des expertises que tu n’as pas, tu peux trouver des solutions à tes problèmes parfois.

Cette collaboration a non seulement permis un partage d’expertise, en des lieux où cela est parfois plus difficile en raison du petit nombre d’enseignants, mais elle a aussi joué un rôle socioaffectif en rassurant les enseignants dans leurs pratiques.

C’est un partage des forces de chacun. Puis aussi du soutien moral, parce qu’on vit les mêmes choses. Tous les trois, on est des enseignants qui se ressemblent donc on a à vivre des choses qui se ressemblent, puis ce n’est pas nécessairement la même chose avec les profs à mon école, parce que ce sont des profs plus traditionnels. Je pense qu’avec eux, ça vient vraiment nous sécuriser.

Mais d’être en ÉÉR et d’avoir la chance de parler et de faire des activités avec quelqu’un du même niveau que soi, c’est important parce que, dans l’école où je suis, on est quatre classes : le 1er cycle, le 2e cycle, le 3e cycle, puis le préscolaire. On n’a pas de personne avec qui se jumeler pour partager des idées. On le fait donc par courriel, on se pose des questions ou on s’envoie des choses : « Qu’est-ce que tu penses de ça…» Qu’on le veuille ou non, ça crée un lien puis c’est rassurant aussi de pouvoir communiquer, de pouvoir se partager des idées.

- Communiquer à l’aide des TIC (compétence 8) (98,3 %).

Autant dit-on que les TIC peuvent élargir les frontières de la classe (Waggoner, 1992) autant, du point de vue de la participation des enseignants, ont-elles aussi permis une extension de l’équipe pédagogique au-delà des murs de la petite école.

On est trois profs au primaire dans mon école; c’est une petite école. Donc moi, j’ai l’impression que ma vraie équipe-école, ce sont mes collègues de l’ÉÉR. Moi, je trouve que mon rôle dans l’équipe de l’ÉÉR est quasiment plus stimulant ou plus présent parce qu’on est tout le temps en contact. J’écris plus, je parle plus à mes collègues de l’ÉÉR par courriel, on s’écrit trois courriels par jour quasiment, minimum. Donc, c’est super important comme rôle.

- Constater les avantages des TIC pour l’éducation (compétence 8) (96,6 %).

Nombre d’avantages relatifs aux TIC ont été constatés, dont la possibilité de conserver des traces des apprentissages des élèves et de conscientiser les élèves à l’importance d’une expression orale et écrite de qualité.

Le succès au plan de leur apprentissage, c’est lorsque premièrement on a suscité leur intérêt puis qu’ils sont capables d’apporter des nouvelles découvertes. Puis avec Knowledge Forum, c’est ça qui est intéressant, il y a des traces, on peut aller voir ce qu’ils ont retenu, ce qu’ils ont découvert. Le succès de nos élèves avec Knowledge Forum, aussi, ils se forcent à écrire sans faire de fautes. Donc ça, ce sont de bonnes habitudes, comme pour iVisit(vidéoconférence), on a remarqué que lorsqu’ils parlaient par caméra, ils se forçaient beaucoup plus avec leur prononciation et l’utilisation des bons mots que lorsqu’ils parlent avec leurs amis directement.

Parmi les autres avantages, mentionnons la possibilité d’un rapprochement dans l’éloignement alors que les outils de collaboration ont permis de vivre des activités avec des gens qui étaient distants d’un point de vue géographique, favorisant ainsi une diversité d’interactions sociales.

Ce qui est agréable, c’est que même si nous sommes éloignés, on est capables de faire des activités ensemble. Puis il y a certains rassemblements, comme il y a un quatre kilomètres de course qui se fait [en ville]. Toutes les classes de la commission scolaire se retrouvent, puis là les enfants sont capables de se voir physiquement et ils trouvent ça vraiment intéressant. Puis ils sont comme attirés un vers l’autre quand ils savent que « Ah oui, c’est vrai, j’ai fait un travail avec elle en réseau… je vais aller la voir ». C’est plus chaleureux un peu.

On est 225 élèves, puis on commence à avoir une diminution d’élèves. C’est certain que c’est intéressant pour eux, justement de voir qu’il y a des élèves qui font la même chose qu’eux, qui font les mêmes projets. Il y a une ouverture de ce côté-là, puis je pense qu’ils aiment ça. C’est sûr que l’ouverture sur les autres municipalités, c’est intéressant, je pense que c’est le plus gros avantage qu’on peut avoir de ce côté-là. Et puis, qu’on le veuille ou non, avec la diminution du nombre d’élèves, il y a moins d’interactions dans le groupe. Nous autres, ce n’est quand même pas si pire, mais quand on arrive avec des petites écoles, comme il y a moins d’interactions, ça nous permet de jumeler ou de parler avec d’autres élèves puis d’avoir plus d’échanges en fin de compte.

- Guider les élèves dans leur exploitation de l’information (compétence 4) (94,8 %).

En ce qui a trait à la façon de guider les élèves dans la façon dont ils traitent et organisent l’information, deux enseignants expliquent la démarche systématique qu’ils ont proposée aux élèves en montrant la dimension progressive du discours qui s’élabore en réseau.

La façon de faire, c’est qu’on va lire dans un premier temps. Ensuite, je les incite à aller porter des informations qu’ils connaissent, mais qu’ils sont certains de donner une bonne information. Supposons qu’ils donnaient une mauvaise information, probablement que quelqu’un va être capable d’aller lui dire « je pense que tu t’es trompé, c’est peut-être…». C’est comme un genre de discussion. Par la suite, je les incite à aller faire des recherches pour aller chercher de nouvelles informations qui pourraient aider. Donc je les guide dans ce chemin-là.

C’est vraiment eux qui ont découvert, puis après on récapitulait en grand groupe ou même avec iVisit (vidéoconférence), puis on disait : « Ben là, comment ça tu es arrivée à ça? » Oui, on faisait une intégration, une rétroaction à la fin, mais c’est vraiment eux qui trouvaient les réponses. Moi, je le vois comme une réussite, parce que ce sont eux qui l’ont trouvé et quand ils avaient des questions, spontanément, ils disaient : « Hey! Je vais demander à telle équipe dans l’autre classe parce que je pense qu’eux autres ils ont réussi ». Bref, on a carrément demandé à des élèves de l’autre classe d’expliquer, et quand on est capables d’expliquer, c’est parce qu’on a compris. Donc, ça, je vois ça comme une réussite parce qu’ils ont manipulé et ils ont pu expliquer ce qu’ils ont appris.

L’importance que les élèves fassent preuve d’un esprit critique a aussi été mise en relief et l’exercice de ce jugement a passé notamment par la consultation de sources de références.

Moi, je vais beaucoup par l’esprit critique. Je leur demande : « Qu’est-ce que tu penses de cette information-là? » Est-ce que tu trouves que ça a du sens? Premièrement, faire appel à son propre jugement, puis ensuite, parfois ils sont portés à penser que tout est vrai parce que c’est écrit sur Internet. Mais plus maintenant. Maintenant, ils vont revérifier à partir d’autres sources. Puis sur papier aussi; ça peut être dans des encyclopédies.

On a oublié quelque chose de bien important : entre eux. Entre eux, ils se disent : « Ah non, ça n’a pas d’allure cette affaire-là, bon je vais vérifier…» Ou : « Mon père il dit que, telle affaire…». Entre eux, ils critiquent aussi beaucoup, je pense que c’est intéressant.

- Faire travailler les élèves en coopération (compétence 4) (93,1 %).

La dimension coopérative du travail en réseau est évoquée à titre de soutien à l’amélioration et à l’enrichissement des idées. « C’est sûr, c’est leur intérêt dans un premier temps, et de vouloir apprendre de nouvelles connaissances. Le travail en équipe aussi. D’apporter leurs connaissances et le fait aussi d’apprendre de nouvelles choses sur un sujet. »

Ce serait de développer des connaissances entre eux, donc d’échanger sur un sujet et, entre eux, ils pourraient trouver des idées, trouver justement des connaissances avec différents matériels, les livres ou Internet, ou en manipulant, ou en faisait des expérimentations, sans leur donner la connaissance; qu’ils la découvrent et qu’ils le fassent en équipe.

Aussi, et à l’instar des enseignants, la coopération qui prend forme par le biais du réseau permet également aux élèves de se sentir moins isolés.

Je trouve que c’est un bel outil et que ça brise beaucoup l’isolement. Les élèves sont capables de communiquer avec d’autres jeunes de leur âge et de participer à des activités qui, normalement ici avec six sixième année, ne peuvent pas être faites. Au lieu d’être six, on se retrouve peut-être une trentaine de sixième année; c’est intéressant.

- Planifier en équipe (compétence 3) (93,1 %).

Un avantage relaté en regard de la planification en équipe a trait à la diversité des idées que le processus procure en termes d’enrichissement des activités d’apprentissage élaborées.

Par trouvailles, en se parlant aussi des fois. On se donne des idées, on s’entend sur un sujet. Par exemple, il y a une année où on a travaillé sur Tintin. Moi, je n’aurais pas choisi ce sujet-là, je pense qu’elle non plus mais on dirait qu’on se contamine : un est passionné de quelque chose, puis on embarque.

En plus des idées que la planification en équipe peut générer, un enseignant a mentionné que la démarche pouvait alléger la tâche.

Quand on est avec une enseignante, une collègue ou un collègue qui est comme nous, ça je trouve que c’est important qu’on soit semblables pour travailler en équipe et qu’on le veuille ou non, ça partage la planification. Une période, c’est moi qui préparais, l’autre période, c’était elle qui préparait. C’est vraiment la complicité puis ça enlève de la tâche à ce niveau-là.

Le point de vue des élèves a aussi été mis à contribution dans le processus de planification des enseignants alors que certains ont pris la peine de sonder l’intérêt de leurs élèves pour les activités en cours de conception.

Pour ÉÉR, souvent nous sommes en équipe, donc, les équipes de profs du troisième cycle, on essaie de trouver un sujet qui intéresse les jeunes. On essaie aussi de partir d’une question plus large afin qu’ils puissent faire de la coconstruction. Habituellement, on essaie de trouver quelque chose de leur vécu, puis quelque chose qui va les accrocher. Puis parfois aussi, on leur demande de nous trouver des questions eux-mêmes et, ensuite en concertation avec les enseignantes, on en choisit une.

- Enrichir les compétences professionnelles (compétence 11) (93,1 %).

En regard de la bonification des compétences, il appert que les outils de mise en réseau privilégiés ont pu induire l’exploration de pratiques pédagogiques jusque-là peu expérimentées.

« Il y a plusieurs projets que je ne ferais pas en classe nécessairement. Des projets de recherches… [Le réseau], ça change ma pratique plus dans ce style-là. »

D’autre part, la dimension des interactions sociales avec des collègues a aussi été relatée comme un levier à l’amélioration des pratiques. « Je veux rester jumelée avec mes collègues parce qu’on le veuille ou non, on développe des affinités et on dirait qu’on est capables d’aller plus loin avec quelqu’un qu’on connaît déjà, avec quelqu’un avec qui on a déjà travaillé. »

- Mettre à contribution les TIC dans les activités d’apprentissage élaborées (compétence 8) (91,4 %).

En regard de la contribution des TIC aux activités d’apprentissage, il appert que la mise à contribution des outils de collaboration en réseau ait favorisé le processus de coconstruction des connaissances au sein de la classe.

En réseau, c’est toujours un peu différent de ce qu’on fait en classe, parce que les projets que nous faisons en classe, en réseau, on essaie aussi, mais c’est plus de la coconstruction, on favorise beaucoup que les enfants puissent aller porter leurs notes, et les éléments de leur recherche.

- Considérer des points de vue diversifiés en classe (compétence 1) (91,4 %).

En ce qui a trait à la considération de divers points de vue au sein de la classe, l’outil de mise en réseau axé sur la communication écrite a été considéré comme un levier en cette matière.

Juste de confronter leurs idées. Je pense qu’ils sont… Pas qu’ils ne sont pas habitués à ça… mais je ne le fais pas énormément en classe d’habitude. Puis moi, une des raisons pour lesquelles je voulais [utiliser] le Knowledge Forum, c’était justement pour qu’ils puissent voir que je peux avoir une opinion différente [de celle des autres]. Puis on n’est pas nécessairement obligés d’avoir un gagnant et un perdant si on veut, mais c’est juste qu’on a des opinions qui sont différentes. Puis on va être capables de bâtir à partir de ce qu’on pense puis d’aller chercher de l’information supplémentaire pour avoir la meilleure représentation de la situation.

En contrepartie, moins de 50 % des répondants se sont dit en accord ou tout à fait en accord avec le fait que leur participation à ÉÉR ait pu contribuer à la mobilisation des énoncés de composantes suivants :

Ces résultats n’étonnent pas vu la nature même de ce qui se passe dans l’ÉÉR et du stade de mise en œuvre de cette innovation, et tout en montrant la capacité discriminante du questionnaire utilisé. Ainsi, ces résultats pointent-ils vers des objectifs à mettre en évidence dans le futur. Par exemple, on constate que la compétence de l’évaluation de la progression des apprentissages des élèves est nettement celle à l’égard de laquelle les enseignants ont l’impression d’avoir développé le moins de composantes.

Comparaisons intergroupes

Cette section présente les différences significatives qui ont été constatées en matière de mobilisation des compétences professionnelles en regard des facteurs identifiés à la section du profil des répondants. Il est à noter que tous les résultats font suite à des analyses de variance réalisées à un seuil de .05.

En ce qui a trait au nombre d’années d’expérience en enseignement, aucune différence n’a été constatée par rapport à ce facteur. En revanche, pour ce qui est du nombre d’années de participation à ÉÉR, les résultats indiquent une différence significative pour la compétence

7 (F (2, 55) = 3,435, p = 0,039). Le test post-hoc Tukey révèle que les enseignants qui prenaient part à l’initiative de l’ÉÉR depuis plus de trois ans ont obtenu une moyenne plus élevée à cette compétence que ceux qui y participaient depuis moins d’un an (p = 0,045). Ainsi, les premiers auraient mobilisé davantage leur capacité à adapter leurs interventions selon les besoins des élèves.

En regard du nombre d’heures de participation mensuelle de la classe à ÉÉR, une différence significative se dégage pour la compétence 2 (F (3, 54) = 3,347, p = 0,026), la compétence 9 (F (3, 54) = 3,420, p = 0,024), la compétence 10 (F (3, 54) = 3,316; p = 0,027) et la compétence 11 (F (3, 54) = 3,277, p = 0,028). D’autre part, le test post-hoc Tukey indique que les enseignants qui ont participé à l’ÉÉR entre onze et vingt heures par mois ont mobilisé davantage ces compétences que ceux dont la participation a été inférieure à cinq heures (compétence 2 : p = 0,021; compétence 9 : p = 0,035; compétence 10 : p = 0,042; compétence 11 : p = 0,019).

En ce qui concerne le sentiment d’isolement professionnel, il ressort une différence significative au niveau de la compétence 10 (F (1, 56) = 6,429, p = 0,014). Ainsi, il appert que les enseignants qui se disaient isolés avant d’amorcer leur participation à ÉÉR ont davantage mobilisé leur compétence à travailler de concert avec l’équipe pédagogique. Ce constat s’inscrit tout à fait dans l’optique de celui qui a été fait à la section précédente en regard de l’importance qu’ont pris le partage d’idées et de la collaboration avec des collègues.

En ce qui a trait à la perception des conditions d’apprentissage dans l’ÉÉR, les résultats révèlent que les enseignants qui les perçoivent de façon favorable obtiennent une moyenne significativement plus élevée à huit des douze compétences professionnelles. Il s’agit des compétences de planification (p = 0,002) ; de pilotage (p = 0,000) ; d’évaluation (p = 0,000) ; d’organisation du fonctionnement de la classe (p = 0,009) ; d’intégration des TIC (p = 0,000) ; de coopération avec l’équipe-école, les parents et les différents partenaires sociaux (p = 0,000) ; d’engagement dans une démarche de développement professionnel (p = 0,000) ; et d’agissement de façon éthique et responsable (p = 0,006). Il est cependant impossible de savoir si les enseignants qui perçoivent que les conditions d’apprentissage sont favorables dans ÉÉR mobilisent davantage ces compétences professionnelles ou si c’est leur mobilisation qui entraîne une meilleure perception des conditions d’apprentissage.

Discussion

Au début des années 2000, lorsque le MEQ et le CEFRIO ont formulé l’idée de l’exploration des possibilités des technologies collaboratives au bénéfice des petites écoles rurales du Québec, cela a été fait en regard d’une préoccupation d’égalité d’accès et de succès (Laferrière, Breuleux & Inchauspé, 2004). Deux enjeux étaient alors particulièrement prégnants, soit la qualité de l’environnement d’apprentissage offert aux élèves de ces écoles et l’isolement de leurs enseignants, notamment en matière d’échanges professionnels contribuant au développement professionnel. Sept ans après le démarrage de l’ÉÉR, il appert, du point de vue des enseignants, que la participation à cette initiative a su résorber une partie des problématiques inhérentes au contexte des écoles rurales.

D’une part, les perceptions à l’égard des conditions d’apprentissage indiquent que le déploiement d’une approche de mise en réseau a contribué de façon favorable au crucial enjeu de la diversification de l’environnement d’apprentissage. Les sciences de l’apprentissage (Bransford, Brown & Cocking, 1999 ; Sawyer, 2005) arguent l’importance pour les élèves d’avoir accès à de riches possibilités d’interactions avec des contenus de qualité, du matériel diversifié et une gamme de pairs et d’intervenants, en bénéficiant d’un soutien de qualité de la part de ces derniers pendant qu’ils prennent part activement à la réalisation d’activités authentiques. Il appert que la participation à l’ÉÉR a permis d’accomplir des progrès à ce niveau et les résultats obtenus dans cette étude en matière de mobilisation des compétences de planification et de pilotage en témoignent du point de vue des enseignants.

D’autre part, les plus nombreuses interactions en collégialité et occasions de coopération et de collaboration auxquelles le réseau a donné accès à ces derniers ont eu un effet porteur sur leur sentiment d’isolement, eux qui, en quasi-totalité, ont affirmé qu’ils n’éprouvaient plus ce sentiment depuis leur participation à la mise en œuvre de l’ÉÉR. Un tel constat contraste de façon importante avec des propos de sens commun voulant que les TIC aient tendance à isoler les individus. L’idée mise de l’avant par les enseignants n’est pas celle d’interagir strictement via le réseau, mais de mettre ce dernier à contribution pour compléter et augmenter les interactions en face à face, qui sont parfois plus restreintes en raison du plus faible nombre d’intervenants présents localement. À cet effet, on peut croire que la diversité des modalités de réflexion en collaboration mises en place dans le cadre de l’initiative ÉÉR ont contribué à alimenter l’autorégulation de la pratique des enseignants, une dimension importante du développement professionnel.

S’il est peu surprenant de constater que la participation à la mise en œuvre de l’ÉÉR a sollicité de façon importante la mobilisation de la compétence relative à l’intégration des TIC chez les enseignants, le constat de mobilisation de plusieurs autres nous apparaît être une preuve d’ancrage et de diffusion de l’initiative au sein des pratiques et à travers elles. De fait, si au départ des commentaires étaient formulés à l’effet que l’ÉÉR était un projet technologique, la compréhension de son objet s’est progressivement raffinée pour en venir à considérer sa dimension technologique comme un moyen et un levier permettant de composer avec les caractéristiques propres au contexte d’une classe d’école rurale et les exigences et spécificités qu’elles requièrent en termes de compétences et de pratiques d’enseignement/apprentissage.

À ce chapitre, les résultats obtenus par rapport à la mobilisation de la première compétence professionnelle – celle qui a trait à la dimension culturelle de la profession – permettent d’illustrer de façon particulière que les enseignants n’ont pas fait essentiellement d’ÉÉR un lieu d’apprentissage d’outils technologiques. En planifiant et en pilotant des activités d’apprentissage en réseau qui, tel que mentionné précédemment, ont mis l’accent sur des situations réelles et authentiques, cela a-t-il pu fournir aux élèves un contexte de travail permettant l’émergence de nouvelles questions et l’exploration d’idées différentes se forgeant de façon progressive, par le biais des interactions verbales et écrites ? Un tel contexte d’apprentissage global, en comparaison à d’autres contextes qui auraient pu être plus linéaires et ciselés, peut certes être déstabilisant pour l’enseignant puisque cela lui nécessite parfois de réagir rapidement face à une panoplie de questions provenant de petits chercheurs fort curieux. Or, il s’agit aussi d’un contexte fécond lui permettant de déployer l’étendue de ses connaissances et sa culture générale, et il semble que c’est ce que traduisent les résultats obtenus en regard de la mobilisation de la première compétence lorsqu’on les met en parallèle avec la nature de certaines activités privilégiées en réseau.

Par ailleurs, quelques compétences semblent avoir été moins sollicitées dans le cadre de la mise en œuvre de l’ÉÉR. C’est le cas notamment de la septième compétence qui a trait à la prise en compte des besoins individuels des élèves. Sachant la complexité qu’elle implique, et considérant la dimension innovatrice du modèle de mise en réseau, est-il possible que la conjugaison des deux ne soit pas encore perçue ? C’est à tout le moins ce que laissent sous-entendre les nombreuses réponses « Je ne sais pas » qui ont été fournies aux questions qui traitaient de cette compétence. La compétence relative à l’évaluation de la progression des apprentissages (compétence 5) est une seconde compétence qui semble avoir été moins sollicitée. Une explication plausible peut être formulée en termes du défi que représente l’évaluation individuelle des élèves dans un contexte d’apprentissage en réseau qui met un accent considérable sur la collaboration, voire l’avancement collectif des connaissances. Une troisième compétence dont la mobilisation a été moindre dans le contexte d’ÉÉR du point de vue des enseignants est celle de la sollicitation des parents à participer à la vie de la classe et de l’école (compétence 9). Sachant l’importance que prennent le climat et l’ouverture de l’école de même que les perceptions des acteurs impliqués dans l’établissement d’une collaboration entre les parents et les intervenants scolaires (Deslandes, 2008), il semble raisonnable d’affirmer que les résultats obtenus par rapport à la mobilisation de cette compétence doivent être situés dans un contexte plus large que le seul contexte d’ÉÉR.

De plus, les résultats obtenus à cette dernière compétence sont une manifestation de la complexité du concept d’ÉÉR puisqu’il dépasse le champ de l’éducation proprement dit pour s’avérer une solution potentielle au problème de la baisse démographique dans les petits villages et de la difficulté des municipalités d’attirer de nouvelles familles sur leur territoire (Prévost, 2004).

Conclusion

Si les résultats de l’étude permettent de constater l’envergure que le développement professionnel des enseignants peut prendre dans le cadre de la mise en œuvre d’une innovation sociotechnologique de la nature de l’ÉÉR, un enjeu cardinal demeure pour certaines écoles rurales qui œuvrent dans un tel contexte. Parmi les répondants, plusieurs sont des enseignants expérimentés. Or, on sait que les jeunes enseignants se retrouvent souvent dans les écoles situées en périphérie des centres urbains en début de carrière. Est-ce à dire qu’ils boudent les pratiques de mise en réseau même s’ils sont considérés comme des usagers des TIC dans leur vie personnelle? La gestion multitâche qu’implique ce mode de fonctionnement constituerait-elle un défi, voire un frein, auquel les nouveaux souhaiteraient ne pas se frotter au départ? Se référant aux stades de développement professionnel (Kagan, 1992), la plupart en seraient-ils incapables? Préféreraient-ils se concentrer sur l’appropriation de routines de travail plus conventionnelles avant d’adopter des pratiques davantage à la fine pointe? Il s’agit là de pistes qui interpellent la formation initiale des enseignants et qui méritent de plus amples investigations dans une optique de pérennité et d’institutionnalisation de ces nouvelles modalités de travail qui font de plus en plus école en milieu scolaire.

Limites

Un certain nombre de limites doivent être précisées dans le cadre de cette étude. La première a trait à la représentativité des commissions scolaires. Une vingtaine de commissions scolaires participaient, à divers degrés, à la mise en œuvre de l’ÉÉR en 2007-2008. Or, seuls des enseignants de onze d’entre elles ont répondu au questionnaire qui a été complété sur une base volontaire. En découle un plus faible nombre de répondants, soit 58 sur un bassin potentiel d’environ 100 enseignants actifs. D’autre part, le parachèvement volontaire du questionnaire amène à se poser la question suivante : qui sont ceux qui y ont répondu ? Le choix d’un échantillon volontaire ne peut garantir la représentativité des résultats obtenus. Enfin, en dépit de la valeur reconnue aux perceptions dans la littérature scientifique, d’aucuns pourraient arguer que les résultats proviennent essentiellement de pratiques auto rapportées qui n’ont pas fait l’objet d’une triangulation à partir d’observations vu la nature anonyme du questionnaire. Au cours des deux prochaines années, nous serons en position d’effectuer une telle triangulation et d’ainsi apporter une contribution complémentaire. Aussi, il pourrait s’avérer pertinent de documenter l’évolution du développement des compétences à travers le temps auprès d’un groupe défini d’enseignants.


FN

  1. Pour de plus amples détails à propos de l'initiative ÉÉR, le lecteur peut consulter le site Web suivant : http://www.cefrio.qc.ca/fr/documents/projets/46-Ecole-eloignee-en-reseau-phase-3.html
  2. Le référentiel complet des compétences professionnelles peut être consulté à partir du site Web suivant : http://www.mels.gouv.qc.ca/dftps/interieur/forminit.html
  3. Le lecteur qui désire en savoir davantage à propos de cet outil peut consulter le site Web suivant : http://www.telelearning-pds.org/doc_eer/kf_pedago/
  4. À titre indicatif, le résultat doit être compris comme un score moyen aux questions portant sur la mobilisation de la quatrième compétence, reporté sur 100 à des fins de comparaison.
  5. À titre indicatif, le résultat doit être compris de la façon suivante : 94,9 % des répondants sont plutôt en accord ou tout à fait en accord pour dire que leur participation à l'initiative de l'ÉÉR a contribué à la mobilisation de la quatrième compétence du référentiel ministériel (MEQ, 2001).

References

Bereiter, C. & Scardamalia, M. (1993). Surpassing ourselves: An inquiry into the nature and implications of expertise. La Salle : Open Court.

Bransford, J. D., Brown, A. L. & Cocking, R. R. (1999). How people learn: Brain, mind, experience, and school. Washington : National Academy Press.

Brodeur, M., Deaudelin, C. & Bru, M. (2005). Introduction : le développement professionnel des enseignants : apprendre à enseigner pour soutenir l’apprentissage des élèves. Revue des sciences de l’éducation, 31(1), 5-14.

Brown, A. (1992). Design experiments: Theoretical and methodological challenges in creating complex interventions in classroom settings. The Journal of the Learning Sciences, 2(2), 141-178. Retrieved November 3, 2008, from: http://depts.washington.edu/edtech/brown.pdf

Butler, D. L. (2005). L’autorégulation de l’apprentissage et la collaboration dans le développement professionnel des enseignants. Revue des sciences de l’éducation, 31(1), 55-78.

Charlier, B. (1998). Apprendre et changer sa pratique d’enseignement. Expériences d’enseignants. Bruxelles : De Boeck.

Collins, A. (1992). Toward a design science of education. In E. Scanlon & T. O’Shea (Eds.), New directions in education technology (pp. 15-22). New York : Springler-Verlag.

Collins, A. (1999). The changing infrastructure of education research. In E. Condliffe Lagemann, & L. S. Shulman (Eds.), Issues in education research (pp. 289-198). San Francisco : Jossey-Bass.

Cumming, J. & Owen, C. (2001). Reforming schools through innovative teaching. Proceedings of the Australian Vocational Education and Training Research Association (AVETRA). Adelaide, Australia. Retrieved November 3, 2008, from: http://www.avetra.org.au/abstracts_and_papers_2001/Cummings-Owen_full.pdf

Day, C. (1999). Developing teachers. The challenge of lifelong learning. Londres : Palmer Press.

Dede, C. (2004, September). Enabling distributed learning communities via emerging technologies – Part One. THE Journal. Retrieved November 3, 2008, from: http://thejournal.com/magazine/vault/A4963.cfm

Deslandes, R. (2008). Analyse d'une recherche action sur la collaboration école-famille-communauté. In R. Deslandes (Ed.), La collaboration de l'école, la famille et la communauté à l'apprentissage, Cahier scientifique de l'ACFAS 109, (pp. 209-223). Montréal : ACFAS.

Fang, Z. (1996). A review of research on teacher beliefs and practices. Educational Researcher, 38(1), 47-65.

Feiman-Nemser, S. (2001). From preparation to practice: Designing a continuum to strengthen and sustain teaching. The Teachers College Record, 103(6), 1013-1055.

Fullan, M. & Hargreaves, A. (1992). Teacher development and educational change. In M. Fullan & A. Hargreaves (Eds.), Teacher development and educational change (pp. 1-9). Washington : Falmer Press.

Garet, M. S., Porter, A. C., Desimone, L., Birman, B. F. & Suk Yoon, K. (2001). What makes professional development effective ? Results from a national sample of teachers. American Educational Research Journal, 38(4), 915-945.

Gersten, R., Vaughn, S., Deshler, D. & Schiller, E. (1997). What we know about using research findings : Implications for improving special education practice. Journal of Learning Disabilities, 30(5), 466-476.

Guskey, T. R. (2002). Professional development and teacher change. Teachers and Teaching, 8(3-4), 381-391.

Kagan, D. M. (1992). Professional growth among preservice and beginning teachers. Review of Educational Research, 62(2), 129-169.

Kremer-Hayon, L., & Tillema, H. H. (1999). Self-regulated learning in the context of teacher education. Teaching and Teacher Education, 15(5), 507-522.

Laferrière, T., Breuleux, A. (2002). L’école éloignée en réseau : revue des cas et des écrits. Montréal : CEFRIO.

Laferrière, T., Breuleux, A., & Inchauspé, P. (2004). Rapport de recherche final du projet L’École éloignée en réseau. Montréal : CEFRIO.

Le Boterf, G. (1997). De la compétence à la navigation professionnelle. Paris : Les éditions d'organisation.

Le Boterf, G. (2000). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris : Les éditions d’organisation.

Ministère de l’Éducation. (2001). La formation à l’enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles. Québec : Gouvernement du Québec.

Pajares, M. F. (1992). Teacher's beliefs and educational research: Cleaning up a messy construct. Review of Educational Research, 62(2), 307-322.

Palincsar, A. S., Magnussen, S. J., Marano, N., Ford, D. & Brown, N. (1998). Designing a community of practice : Principles and practices of the GIsML community. Teaching and Teacher Education, 14(1), 5-19.

Perrenoud, P. (1999). Dix nouvelles compétences pour enseigner. Invitation au voyage. Paris : ESF.

Pintrich, P. R., Marx, R. W. & Boyle, R. W. (1993). Beyond cold conceptual change: The role of motivational beliefs and classroom contextual factors in the process of conceptual change. Review of Educational Research, 63(2), 167–199.

Prévost, P. (2004). Les collaborations école-communauté au Québec : Une perspective de développement local au moyen de quatre études de cas. Montréal: CEFRIO.

Rennie, L. J. (2001). Teacher collaboration in curriculum change : The implementation of technology education in the primary school. Research in Science Education, 31(1), 49-69.

Richardson, V. (1996). The role of attitudes and beliefs in learning to teach. In J. Sikula, T.-J. Buttery & E. Guyton (Eds.), Handbook of research on teacher education. A project of the Association of Teacher Educators (pp. 102-119). New York : Macmillan Library.

Sawyer, K. (Ed.) (2005). The Cambridge handbook of learning sciences. New York : Cambridge University Press.

Scardamalia, M., Bereiter, C. & Lamon, M. (1994). The CSILE project: Trying to bring the classroom into World 3. In K. McGilley (Eds.), Classroom lessons: Integrating cognitive theory and classroom practice (pp. 201-228). Cambridge : MIT Press.

Tillema, H. H. & Knol, W.E. (1997). Promoting student teacher learning through conceptual change or direct instruction. Teaching and Teacher Education, 13(6), 579-595.

UNESCO. (2008). ICT Competency Standards for Teachers. Paris : UNESCO.

van Dijk, E. T. (1981). Episodes as units of discourse analysis. In D. Tannen (Ed.), Analyzing discourse: Text and talk (pp. 177-195). Georgetown: Georgetown University Press.

Waggoner, M. (1992). Empowering networks: Computer conferencing in education. Englewood Cliffs : Educational Technology Publication.

Zimmerman, B. J., Bonner, D. & Kovach, R. (1996). Developing self-regulated learners : Beyond achievement to self-efficacy. Washington, DC : American Psychological Association.

Stéphane Allaire. Université du Québec à Chicoutimi. E-mail: stephane_allaire@uqac.ca

Thérèse Laferrière. Université Laval. E-mail: tlaf@fse.ulaval.ca

Christine Hamel. E-mail:christine.hamel@fse.ulaval.ca

Julia Gaudreault-Perron. Université Laval. E-mail: julia.gaudreault-perron@fse.ulaval.caa